Aujourd’hui, le mouvement des gilets jaunes en France est arrivé à une étape cruciale et déterminante. Il a fait plier le pouvoir mais se trouve traversé par un schisme, deux tendances se dégagent.
Par Chedly Mamoghli *
Le discours d’Emmanuel Macron, lundi 10 décembre 2018, est une victoire des gilets jaunes et la preuve concrète que le mouvement a fait plier le pouvoir. Toutefois et suite à ce discours, un schisme a traversé le mouvement et a fait apparaître deux tendances claires. Les deux tendances se sont confirmées dès le lendemain après l’attentat terroriste survenu à Strasbourg.
Gilets jaunes : de la victoire à la division
D’abord, il faut revenir sur la victoire des gilets jaunes car c’en est une. Ce qu’ils ont fait est inédit et énorme. Jamais un mouvement n’a réussi à faire reculer un pouvoir, à le faire plier, à le faire vaciller et avec une telle ampleur et en si peu de temps. En trois semaines, ils ont obtenu ce que personne ni aucune partie n’a jamais pu obtenir. Les syndicats réunis comme un seul homme et avec une grande mobilisation n’ont pas pu empêcher Emmanuel Macron de modifier le sacro-saint statut des cheminots de la SNCF.
Emmanuel Macron n’a cessé de jurer ses grands dieux et n’a cessé de marteler, tout comme le Premier ministre, Edouard Philippe, d’ailleurs, que le cap – et Dieu sait si ce mot a été rabâché – sera maintenu et bien il a fini par changer de cap.
Beaucoup d’observateurs avaient dit, le mois dernier, que le mouvement des «gilets jaunes» s’effilochera et bien c’est le cap d’Emmanuel Macron qui s’est effiloché. Ils ont compromis la trajectoire de son quinquennat. Ils ont obtenu des concessions importantes et concrètes. Ils ont gagné. Il y aura un débat national qui débutera samedi 15 décembre et à son issue, ils obtiendront davantage. Mais c’est là que le schisme est apparu.
Une ligne modérée et une autre jusqu’au-boutiste
Un schisme s’est bel et bien établi après le discours de lundi soir et deux tendances sont apparues. Une tendance modérée qui a estimé que le pouvoir les a entendus, qu’il a réagi, qu’ils l’ont fait fléchir et bien maintenant, il faut construire sur cela et aller de l’avant. Pour eux, c’est le temps du dialogue et de la négociation. Le lendemain, mardi, après l’attentat de Strasbourg, ils ont estimé que le mouvement devait continuer mais ne devait pas manifester samedi à Paris.
Parmi les tenants de cette ligne modérée, certains appellent même à plier bagages et à quitter les ronds-points à l’instar de Jacline Mouraud, un des visages les plus connus du mouvement et devenue célèbre grâce à sa vidéo aux sept millions de vues.
Une autre tendance, jusqu’au-boutiste, a estimé que les décisions d’Emmanuel Macron relevaient de «l’enfumage». Ni temps du dialogue ni négociation. Et après l’attentat de Strasbourg, ils ont décidé de maintenir la manifestation de samedi.
Certains de cette tendance sont même tombés dans le complotisme et ont estimé que l’attentat de Strasbourg était une orchestration du pouvoir pour faire effilocher le mouvement en témoigne le post Facebook publié par Maxime Nicole, un des gilets jaunes les plus médiatisés.
Jeudi après-midi, certains membres de cette tendance jusqu’au-boutiste ont confirmé la manifestation parisienne de samedi devant la salle du Jeu de paume* à Versailles, clin d’œil à l’Histoire de France et à la Révolution. Parmi eux, le même Maxime Nicole accompagné notamment par Priscillia Ludosky, à l’origine de la pétition en ligne contre la hausse de taxes sur les carburants qui a dépassé le million de signatures.
Aujourd’hui, le mouvement se trouve à un moment charnière. Il a fait plier le pouvoir, l’a fait vaciller et a obtenu des concessions importantes. Il a aussi bénéficié d’un grand soutien dans l’opinion publique qui a été solidaire de cette France des classes moyennes paupérisées et déclassées et des territoires abandonnées. Maintenant, les deux tendances s’affirment et se confirment, les modérés et les jusqu’au-boutistes. La logique et la sagesse requièrent de construire sur ce qu’on a obtenu et d’aller de l’avant, c’est plus intelligent et plus efficace car renverser la table aboutira au chaos. Le chaos c’est le nihilisme qui à la fin ne leur permettra d’obtenir rien du tout, ne leur profitera pas et profitera seulement aux extrémistes. De plus, le maintien de la manifestation de samedi dans un contexte de terrorisme et de deuil fera que l’opinion publique les percevra comme irresponsables et le soutien de l’opinion reculera.
Maintenant, la rivière retrouvera-t-elle son lit ou bien les pulsions révolutionnaires prendront-elles le dessus avec une issue inconnue et risquée? L’avenir le dira. Un avenir qui appartiendra ou bien à la tendance modérée ou bien à la tendance jusqu’au-boutiste.
* Le jeu de paume: ce jeu est un sport jadis pratiqué par les rois de France notamment par Louis XIV et qui était interdit aux roturiers. Le serment du Jeu de paume est un engagement solennel d’union pris le 20 juin 1789 à la salle du Jeu de paume, à Versailles, par 300 députés du tiers état (une des trois composantes des Etats généraux avec la noblesse et le clergé), auxquels s’associent certains députés du clergé et de la noblesse lors des états généraux de 1789. Ils firent le serment de ne pas se séparer avant l’élaboration d’une Constitution.
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