Dans un article précédent la question était posée de savoir si Abir Moussi ne serait pas une solution face à l’incompétence, au nomadisme, à l’absence totale d’éthique et de conviction de la classe politique qui a tant déçu les Tunisiens. Les réactions des Tunisiens sur le net sont édifiants et méritent que l’on s’y attarde.
Par Rachid Barnat
Le positionnement de cette femme et de son parti, le Parti destourien libre (PDL), est, en effet, le seul qui fasse un préalable de l’élimination des partis instrumentalisant la religion, du vote d’une nouvelle Constitution et d’un nouveau régime électoral permettant de dégager un pouvoir fort, car démocratie ne signifie pas pouvoir dispersé et paralysé !
Il est clair que sa position, après son premier passage dans l’émission ‘‘Rai’y’’ (Point de vue) sur la chaîne de la télévision nationale Watania 1, a entraîné de nombreuses adhésions mais en consultant les réseaux sociaux, on peut constater une grande hostilité de certains et, à y regarder de plus près, de nombreuses femmes.
Certaines positions ne sont que des insultes, des invectives sans aucun argument et ne méritent pas que l’on s’y attarde. On lit quelle a «trop d’ego» comme si tous les politiques qui se présentent à de telles élections n’en avaient pas autant qu’elle ! On lit qu’elle est «lâche» comme si son grand courage à tenir tête aux islamistes n’était la preuve du contraire ! On lit, et c’est plus grave, qu’«une femme ne pouvait pas postuler à ce poste»; et cela sous la plume d’une femme ! Tout cela ne mérite pas que l’on s’y arrête.
Mais d’autres critiques doivent être examinées et discutées.
Son passé au RCD est-il vraiment un problème ?
La première qui revient très souvent, est qu’elle a été membre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et que son projet c’est tout simplement le retour du RCD.
Cette critique qui vient sans doute de partisans des islamistes ou des autres partis qui cherchent à la discréditer, est tout simplement abusive et de très mauvaise foi.
Elle n’a jamais caché avoir appartenu et avoir milité au RCD; ni avoir, en tant qu’avocate, défendu ce parti lors de la demande de sa dissolution. Mieux, elle a le courage de se revendiquer héritière du tout premier parti destourien le Destour et des partis qui lui ont succédé : Néo-Destour, Parti socialiste destourien (PSD) et RCD; et d’assumer leur histoire, leurs réussites mais aussi leurs échecs. Courage qui a manqué à tant d’autres !
Est-ce une raison pour l’écarter et condamner son projet ?
Des milliers de Tunisiens ont été RCD-istes, des membres éminents du RCD ont depuis évolué et se sont retrouvés dans tous les partis, y compris chez les Frères musulmans; et elle serait la seule que l’on empêcherait d’évoluer ?
Par ailleurs, le retour d’un régime RCD est un épouvantail à moineau que brandissent ceux qui s’opposent à elle et à son projet car il est absolument clair et certain que les choses ayant évolué en Tunisie, la liberté d’expression et de manifester existant et ne pouvant être abolie, le retour d’un tel régime est inenvisageable.
Un pouvoir fort pour rompre avec le consensus mou
Mais pour autant, doit-on renoncer à vouloir un pouvoir fort qui puisse restaurer la sécurité, mettre de l’ordre dans l’administration et porter un réel projet au lieu de ce «consensus mou» qui a conduit le pays où il est, c’est à dire avec une insécurité grandissante, une inflation record, un dinar sans valeur, des fonctionnaires livrés à eux-mêmes, des étudiants et des cadres qui fuient le pays, de la prolifération d’écoles coraniques diffusant le venin, la wahhabisme se répandant comme une traînée de poudre, des mosquées succursales de partis politiques !
Or qui a lutté contre ces dérives jusqu’à présent ? Personne. Même Béji Caïd Essebsi qui a été élu massivement par tous ceux qui ont cru qu’il sera leur rempart contre les islamistes, s’est allié à leur pire ennemi Rached Ghannouchi, pour lui laisser le champ libre d’islamiser la société tunisienne. C’est dire qu’il les a trahis et trahi Bourguiba dont il se prétend l’hériter.
Ce premier argument tiré de son passé RCD est donc inopérant; et ceux qui le mettent en avant sont de mauvaise foi.
Un conservatisme indigne d’une bourguibiste
La deuxième critique est son conservatisme et notamment son hostilité au projet porté par la Commission des libertés individuelle et de l’égalité (Colibe). Là, la critique est beaucoup plus sérieuse car Abir Moussi a fait des déclarations pour marquer son hostilité à ce projet et, si cela correspond à son vrai positionnement, on peut d’abord s’en étonner car se revendiquer de Bourguiba et être hostile à ce projet a quelque chose d’assez incompréhensible.
Par ailleurs, un tel positionnement va lui faire perdre l’appui essentiel d’une grande partie des femmes qui ont soutenu Beji Caïd Essebsi lors de la précédente élection et qui ont ensuite été déçues par son comportement.
Alors à y regarder de plus près, il semble que son hostilité est motivée par deux arguments.
Le premier est qu’en donnant aux enfants nés de mariage «orfi» (coutumier) le même statut héréditaire que les autres, le projet encouragerait la polygamie!
C’est un argument d’une grande faiblesse. Ce n’est pas parce que le statut des enfants adultérins sera amélioré que l’on favorisera la polygamie qui demeurera interdite. Et personne ne va se dire «Tiens puisque mes enfants seront traités à égalité et bien je vais me livrer à l’adultère ou à la polygamie». Cela est une vue de l’esprit.
Par ailleurs, est-il normal que les enfants qui n’ont rien demandé souffrent du comportement de leurs parents ?
Enfin le droit international condamne la discrimination entre les enfants et cela à juste titre. D’ailleurs à ce propos Bochra Bel Haj Hmida, présidente de la Colibe, que les enfants nés hors mariage n’ont rien avoir avec le mariage «orfi» et qu’ils sont reconnus déjà depuis 2009; puisqu’ils ont le droit de prendre le nom de famille de leur père géniteur et qu’ils ont droit à la pension alimentaire. Donc ce n’est pas la possibilité de d’hériter, qui va légitimer le mariage «orfi», dit-elle. Et ce n’est que justice, car les enfants ne doivent pas pâtir des turpitudes des adultes.
Le second argument qu’avance Abir Moussi pour s’opposer au projet de la Colibe est que le projet supprimerait la pension alimentaire à la femme divorcée !
Il faut revoir le projet mais il ne semble pas que ce soit le cas et si cela était, il faudrait simplement proposer de l’amender pour que la pension soit fixée en fonction des revenus de chacun et de ses charges.
Les deux arguments avancés sont donc très faibles et ne valent absolument pas de s’opposer à un projet à haute valeur symbolique et politique. On peut donc espérer qu’Abir Moussi et ses équipes vont revoir la question et prendre une position plus conforme au destin de la Tunisie.
Il sera donc nécessaire de connaître la totalité et la réalité du projet mais cela n’enlève rien au fait que d’ores et déjà sa volonté de reformer la Constitution, de réformer le mode électoral et de s’opposer aux obscurantistes est fondamentale car c’est la base de la renaissance du pays.
Désormais en perspective des prochaines élections, les tunisiens auront à choisir entre deux camps :
– Un camp mondialiste représenté par Youssef Chahed et Rached Ghannouchi le pan-islamiste qui veulent rééditer le pacte de stabilité politique déjà expérimenté sur le dos des Tunisiens par ce dernier et son acolyte Béji Caïd Essebsi, avec leur fumeux «consensus».
– Et celui des patriotes nationalistes représentés par Abir Moussi, objectivement à la gauche des forces politiques dominantes du moment, qui constitue la seule alternative au parlementarisme qui pendant 5 ans a dominé le pays, le paralysant, sans en résoudre les problèmes; et qui a permis l’islamisation de la société tunisienne et la diffusion de la culture terroriste comme succédanée au profond mécontentement social issu de la politique ultra libérale d’essence mondialiste menée sans discontinuer depuis 2011, instaurant en Tunisie un capitalisme sauvage et le chaos dans la gouvernance du pays.
Qu’y a-t-il à rajouter ?
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