Le parti politique Al Badil Ettounsi a organisé, mercredi 6 mars 2019, à l’hôtel El Mechtel de Tunis, une conférence sur la situation économique actuelle en Tunisie et les stratégies qu’il propose pour la redresser.
Par Cherif Ben Younès
La présentation, intitulée «Comment bâtir l’économie de la Tunisie de demain», a été assurée par Hédi Larbi, l’ancien ministre de l’Equipement, de l’Aménagement du territoire et du Développement durable, en présence de près de 200 personnes dont le fondateur du parti et ancien chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa (janvier-décembre 2014), ainsi que des économistes, des représentants de la société civile et des partisans.
Comparer pour mieux comprendre
M. Larbi a exprimé son énorme inquiétude par rapport à la situation économique que vit la Tunisie aujourd’hui. Une situation qu’il a qualifiée de «catastrophique». «Malheureusement, la vitesse de dégradation de l’économie tunisienne s’est accélérée… en particulier cette année», a-t-il déploré, appelant à réagir rapidement et à réformer tous les secteurs, sans exception.
Afin de mettre en place «un nouveau modèle de développement économique», l’analyse de la situation actuelle, par l’ancien ministre, a débuté par la comparaison de la politique économique tunisienne depuis les années 60 avec celle d’autres pays, en Amérique Latine et en Afrique, qui avaient, à l’époque, le même niveau de développement économique que le nôtre. «Il y a eu un décrochage énorme vers la fin des années 80», a lancé le conférencier, affirmant néanmoins qu’on s’est, plus ou moins, rattrapés par la suite, notamment au milieu des années 90, avant de se laisser totalement dépasser depuis 2011.
Par ailleurs, le professeur à l’université de Hartford a présenté une statistique très révélatrice des difficultés économiques que rencontrent les nations en voie de développement… comme s’il voulait, d’un côté, nuancer la responsabilité de l’État tunisien, et, d’un autre, tirer la sonnette d’alarme et inciter le gouvernement actuel et celui qui prendra le pouvoir en fin d’année à doubler leurs efforts : au cours des 77 dernières années, sur les 162 pays en voie de développement dans le monde, il n’y en a eu que 13 qui se sont développés. «Malgré les centaines de milliards qui se sont déversés dans ces pays, il n’y a pratiquement pas eu de développement économique… La complexité de ce processus dépasse donc tout ce qu’on peut imaginer», a-t-il souligné.
Les rares pays en voie de développement qui ont réussi à améliorer leurs situations économiques avaient choisi des voies «complètement différentes» a affirmé M. Larbi. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de recette magique menant, dans tous les cas, au même résultat. Il faut donc avoir, selon le conférencier, une volonté et une démarche bien définie et rigoureusement appliquée. «Le changement passerait nécessairement par le travail, et rien d’autre», a-t-il insisté.
M. Larbi a, dans le même ordre d’idées, identifié deux facteurs communs à ces expériences réussies. Le premier est la mise en place d’institutions que ces pays ont fait évoluer, à l’instar l’éducation. Un secteur sur lequel on avait pourtant beaucoup misé en Tunisie, particulièrement sous le règne de Habib Bourguiba, sans qu’on ne réussisse, toutefois, à y préserver nos progrès. En effet, ce secteur primordial pour le développement économique de n’importe quel pays s’est totalement détérioré lors de la dernière décennie, a regretté l’ancien ministre.
Le deuxième facteur est la capacité de ces nations à s’adapter aux évolutions économiques internationales. «Tous les 10 ans, elles changent de politique économique pour s’adapter à ce qui se passe dans le monde», a assuré Hédi Larbi, qui a regretté, à cet effet, le fait qu’en Tunisie, on ne fait que des retouches «par-ci par-là», sans jamais apporter un réel changement pensé et adapté au contexte économique mondial.
Concevoir un nouveau modèle de développement économique
Le redressement économique devra, selon M. Larbi, se baser sur un modèle de développement économique articulé autour de 3 éléments fondamentaux, à savoir les acteurs économiques, les activités productrices et la distribution.
Il faut donc s’assurer de définir les rôles des différents acteurs et de les engager dans cette démarche; de veiller à bien sélectionner les activités productrices; et d’identifier les parties pour lesquelles on crée des richesses, tout en s’assurant que celles-ci leur soient équitablement distribuées. L’ancien ministre a affirmé, à cet effet, que pour jouir d’un bon modèle de développement économique, il ne faut pas se tromper sur le choix de la meilleure combinaison possible de ces 3 piliers.
Ceux-ci sont aujourd’hui défaillants, selon le conférencier, à commencer par l’acteur économique principal, qui est l’État, dont l’inefficacité est «à pleurer». M. Larbi lui reproche de vouloir naïvement dominer tous les secteurs d’activités économiques du pays, au lieu de mesurer ses interventions suivant sa valeur ajoutée, et d’être, donc, plus stratégique.
Hédi Larbi a évoqué, d’autre part, l’excès de régulation, de réglementation et des activités de bureaucratie, qui a porté préjudice au secteur privé, et par conséquent aux activités productrices. Celles-ci ayant subi, en même temps, une économie rentière. Ce sont donc les deux raisons principales pour lesquelles elles ne se sont pas développées comme il se devait.
La distribution a, quant à elle, été qualifiée de «catastrophique» par l’ancien ministre, comme en témoignent le taux de chômage élevé et les inégalités sociales et régionales de plus en plus importantes, et ce malgré les énormes dépenses déboursées pour remédier à cette situation.
Donner plus d’importance aux évolutions externes
M. Larbi a, par ailleurs, avancé un ensemble de propositions qui devraient, selon lui, aider le pays à se sortir de sa situation économique actuelle. Il a, à cet effet, suggéré de mieux exploiter la globalisation et l’économie de marché, en essayant de percevoir la création d’avantages socio-économiques pour le pays, à l’échelle internationale, comme un défi réalisable et non pas comme un problème ou un fardeau.
D’un autre côté, il a appelé à prendre plus en considérations les changements climatiques dont les impacts sur les l’agriculture, l’industrie et l’économie de façon générale ont, jusque-là, souvent été sous-estimés par les différentes parties prenantes concernées.
L’autre aspect évolutif qu’il a mentionné, et auquel il faudra apporter plus d’attention est la technologie. «On parle souvent de la digitalisation de l’administration par exemple… mais où est-ce qu’on en est ? Eh bien on attend encore !» a regretté l’ancien ministre.
Une analyse intéressante mais qui nous laisse sur notre faim
La crise économique tunisienne est plus que jamais d’actualité, et la présentation de Hédi Larbi a indéniablement apporté une certaine valeur ajoutée à ce sujet. Mais force est de constater que l’analyse a été un peu trop théorique. Et vu l’urgence de la situation actuelle, la proposition de solutions plus concrètes, voire «quantifiables», est tout sauf un luxe. Surtout de la part du dirigeant d’un parti qui postule à solliciter, dans quelques mois, les suffrages des citoyens.
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