Figure majeure du surréalisme en Egypte, Georges Henein, né au Caire en 1914, d’un père copte diplomate et d’une mère italienne, il fait ses études en Europe et se lit d’amitié avec André Breton et Henri Calet, avant de devenir, dès 1933, un chroniqueur savoureux dans des journaux égyptiens.
En 1938, il adhère au trotskisme et publie ‘‘Déraisons d’être’’. Animateur au Caire d’un centre intellectuel de résistance pendant la guerre, il crée en 1947 la revue ‘‘La pari du sable’’ et rompt avec André Breton. En 1956 il publie un recueil de nouvelles, ‘‘Le seuil interdit’’. En 1962, son désaccord avec Nasser le conduit à quitter l’Egypte. Il devient journaliste à ‘‘Jeune Afrique’’ et ‘‘L’Express’’. Plusieurs livres paraîtront après sa mort en 1973: ‘‘Notes sur un pays inutile’’ (1977), ‘‘Le signe le plus obscur’’ (1977), ‘‘La force de saluer’’ (1978), ‘‘L’esprit frappeur’’ (1980).
Chambre rebelle à toute demeure…
Quoi de plus lourd au profil de l’absente que
cette écharpe délaissée par le vent…
quoi de plus fidèle à son image que cette
empreinte solaire là où pour la dernière
fois se posa son pied lointain…
cette chambre douce comme une haleine à la
recherche d’une joue, découvre soudain
– à la proue de toute existence valable –
les lois étranges de l’immobilité…
cette chambre où il ne manque qu’une femme,
– mais non ses gestes établis parmi les
meubles en fine poussière de réveil…
où il ne manque qu’un amour – mais non ses
projets incroyables qui se heurtent libre
ment à tous les murs…
où il ne manque que la volupté de l’hésitation,
qu’une simple marge de faiblesse pour
mesurer la vie d’égale à égal, brouillard
en tête…
cette chambre appartient au monde des
silences que l’on ne rompt qu’une fois…
Le piège
Le sort est une panthère chaude et l’instant où l’on est frôlé prend — dans la grande moquerie nocturne un goût d’orgie sarrasine
puis se fait la lumière
et l’on s’aperçoit que l’essentiel
c’est de bien conserver
les objets que l’on ne désire plus.
Le grand schisme
Attention aux trésors que nul ne réclame
à l’écolier patient et taciturne
oublié depuis toujours dans un coin sombre
à l’écolier qui brusque les rêves
qui adoucit la vie
qui forge une femme comme on grée un navire
qui voit au-delà du mur de clôture
au-delà des monts
au-delà des mers
qui serait déjà au bout du monde
si nous n’étions là pour lui parler de reflux
Attention à cette frange de folie pure
au front d’une châtelaine
et au froid des colonnes en marge de ses tempes
et à son cri où la nuit dépose
la fatigue des oiseaux
Attention à cette végétation éhontée qui s’interpose entre les êtres et qui leur donne enfin le droit de se dire séparés.
Le sursaut
Le doit et l’avoir
ne se lisent plus
dans le cristal fou des temples
Pour un instant seulement par-delà le gel des années inutiles une force nouvelle se hisse dans les yeux des officiants
instant d’alarme et de griffe
redoublement de grâce
au chevet de la grande forêt
où se perd le prix de chaque geste
L’horreur du lendemain suffit à soutenir le rêve.
Le poème du dimanche : ‘‘Ya jarata al wadi’’ de Ahmed Chawki
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