Dans sa guerre contre le terrorisme islamiste, la Tunisie est en train de gagner la plupart de ses batailles, comme en témoigne la baisse de la fréquence des attentats, en comparaison avec les 4 ou 5 années post-révolution de 2011. Il est cependant regrettable de vivre une expérience semblable à celle du double attentat-suicide du jeudi 27 juin 2019, à Tunis, ayant fait 2 morts.
Par Cherif Ben Younès
Certes, on est largement engagé dans cette guerre, mais on ne l’a pas encore gagnée. Loin de là. On dira que c’est le cas le jour où on éradiquera définitivement le terrorisme. Autant dire que cette mission est loin d’être accomplie…
Combattre le terrorisme et pas seulement les terroristes
Ce qui la rend si complexe, ce sont les caractéristiques de l’idéologie qui alimente cette abominable méthode de combat. Une idéologie qui est, d’un côté, universellement propagée, et d’un autre côté, profondément enracinée dans les esprits de ceux qui l’adoptent.
Cela signifie qu’en vue de réussir un jour à définitivement éliminer le terrorisme, il est indispensable de concevoir une stratégie à (très) long terme, et de l’adopter à une échelle internationale. Cela dépasse, bien entendu, nos moyens, en tant que Tunisiens, en ce qui concerne le dernier point : on ne peut pas imposer cette stratégie aux autres nations. Mais commencer à travailler dans cette optique sur le plan national serait déjà un bon départ.
Jusqu’à maintenant, dans cette longue et éprouvante guerre, on est en train de combattre les terroristes en tant qu’individus et/ou organisations, et ce en tenant compte de tous les aspects de ce type de combat (l’investigation, la sécurité, la réactivité aux attaques, la communication, etc.). On le fait bien et de mieux en mieux, grâce notamment à l’expérience qu’on acquière avec le temps. Mais cette stratégie ne peut être efficace qu’à court, voire moyen terme, et encore !
En revanche, notre combat contre le terrorisme, en tant que moyen de guerre émanant d’une idéologie bien précise, est, jusque-là, un échec total. Pourtant, gagner cette bataille est tout aussi important, et est, sur le long terme, une nécessité.
Le problème majeur est que ni l’Etat, ni les médias, ni les élites (politique, intellectuelle, artistique ou autre) n’en semblent conscients. Et même ceux qui le sont, ils ne bougent pas le petit doigt à cet effet. Et ce pour éviter de prendre le risque de heurter la sensibilité d’un peuple qui partage, avec les terroristes, plusieurs éléments – pour ne pas dire la base – de cette idéologie.
Une prise de conscience de la source essentielle du problème est nécessaire
Il est certain que les intérêts politiques et économiques régionaux et internationaux ont contribué à la propagation, l’alimentation et la consolidation du terrorisme au cours de ces dernières années. Il est vrai aussi que la pauvreté, le chômage, et la marginalisation notamment des jeunes constituent des facteurs importants qui facilitent aux organisations terroristes la tâche de séduire par leur projet supposément salvateur. Mais il faut être naïf ou ignorant pour ne pas se rendre compte que la raison essentielle du terrorisme est purement idéologique, émanant du cœur de la culture arabo-islamique, dont nous sommes si fiers, et qu’on adopte, corps et âme, avec toutes ses qualités mais aussi tous ses inconvénients, refusant catégoriquement de la reconsidérer ou de la critiquer.
Sur le plan théorique, il y a un nombre monumental de textes sacrés qui appellent explicitement à s’emparer des terres de ceux qui ne gouvernent pas conformément à la loi islamique, et à frapper les cous de ceux qui «mécroient». C’est la définition même du «djihad», un devoir religieux fondamental.
Et plus concrètement, l’histoire arabo-islamique abonde en invasions et conquêtes menées par ceux que nous considérons aujourd’hui comme exemples à suivre. Des chefs et des soldats qui n’offrirent absolument pas de fleurs aux peuples dont ils conquirent les terres.
Aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, les terroristes s’appuient essentiellement et quasi-exclusivement sur ces données textuelles et sur ces faits historiques sacrés pour exercer leur prosélytisme envers les jeunes, les attirer envers eux, et surtout pour justifier moralement, auprès de ces derniers, leurs crimes. Des crimes qui auraient donc une légitimité divine et qui seraient même essentiels pour, excusez du peu, garantir une place au paradis.
En endoctrinant nos enfants, on prépare le terrain aux terroristes
Alors, qu’en est-il de nous, en tant que victimes du terrorisme, mais surtout en tant qu’êtres humains dotés de cervelles et censés avoir un minimum de bon sens ? Comment on se comporte avec la l’idéologie qui représente la cause originelle du terrorisme ? La réponse est toute simple : on fait comme si de rien n’était. On adopte la politique de l’autruche. On se contente de s’attaquer aux feuilles tout en fermant les yeux sur les racines, et on croit, naïvement, que cela suffira pour déraciner la chose.
Pire encore ! On contribue, de notre côté, et à diverses échelles (dans la famille, à l’école, dans les médias, etc.) à préparer le terrain aux terroristes.
Grâce à l’endoctrinement religieux qu’on fait subir à nos enfants…
Ce n’est un secret pour personne, qu’à notre enfance, on se fait tous programmer, comme des robots, à non seulement croire aveuglément en tout ce qui émane de la religion, mais en plus à autocensurer notre liberté de pensée envers toute idée, aussi raisonnable soit-elle, pouvant remettre en question cet endoctrinement. Ce qui a pour effet de nous condamner à y être intellectuellement, spirituellement et moralement emprisonnés.
Et même si l’image de la religion qu’on nous sert est, grosso modo, paisible, nous cachant les parties «dangereuses» de ses textes ou nous en présentant une interprétation différente, cet endoctrinement finit par faciliter énormément aux terroristes la tâche de nous attirer. En effet, il leur suffit pour cela de nous faire part des parties qu’on ignore et/ou de nous ramener à leur interprétation littérale et conforme à la tradition islamique.
Autrement dit, grâce à l’endoctrinement qu’on subit à notre enfance, les terroristes n’ont même pas besoin de nous convaincre d’un nouveau système religieux. Ils s’attaquent directement au nôtre, celui dans lequel nous avons été élevés, en l’adaptant à la doctrine salafiste djihadiste. Et inévitablement, une certaine proportion de nos jeunes tombent dans le panneau.
On nous dit souvent, notamment dans les médias, que les terroristes procèdent par lavage de cerveau pour attirer de nouveaux adeptes. Cela est vrai, mais il est important de comprendre que la majorité de ces derniers ont d’ores et déjà un «cerveau lavé». Les terroristes se contentent d’enfoncer le clou.
Qui y résiste et qui y succombe ? La réponse à cette question est complexe et dépasse la portée de cet article, mais qu’importe… L’essentiel est qu’au final, un certain nombre de nos jeunes se trouve, inévitablement, séduit par le projet djihadiste, et que nous en sommes en grande partie responsables, du fait de l’endoctrinement qu’on leur fait préalablement subir.
Par conséquent, même en étant militairement plus forts, on ne va jamais réussir à éradiquer le terrorisme tant qu’on se contente de le combattre sur terrain. D’autant plus qu’en l’occurrence, l’ennemi n’a absolument pas peur de la mort, qu’il considère même comme un objectif en soi et la clef de la victoire ultime, celle de garantir une place au paradis, dans sa présumée vie post mortem.
Il est temps d’affronter courageusement la société
Il n’y a pas de solution magique conduisant à l’élimination définitive du terrorisme, mais pour arriver un jour à cette fin, il y a un combat intellectuel, contre le terrorisme et non pas les terroristes, qu’il faut accepter de faire. Cela devra passer par un travail dur, collaboratif et de très longue durée. Et ce dans le cadre d’un plan axé autour de deux mesures fondamentales.
La première consiste à priver le terrorisme de son point fort, à savoir l’endoctrinement préétabli, en arrêtant d’apprendre aux enfants à idolâtrer des idées ou des personnes, quelles qu’elles soient. Et la deuxième est de leur apprendre, au contraire, à user de leur sens de la logique et de l’analyse envers toutes les idées et toutes les personnes. Ce n’est que de cette façon qu’on pourra immuniser nos futurs jeunes contre toute pensée dogmatique, et en particulier contre le fanatisme religieux, source du terrorisme.
Ce plan ne serait, de toute évidence, pas facile à appliquer, puisque son ennemi numéro 1 serait la société, elle-même victime de l’endoctrinement et donc, incapable de voir lucidement ses maux et ses problèmes en rapport avec ce sujet. Mais, ce qui est certain c’est qu’il y a un premier pas à faire : le fait que nos élites acceptent enfin d’être moins populistes, pour la bonne cause et au détriment de leurs images aux yeux cette société.
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