C’est une bonne chose que le gouvernement se penche sérieusement sur le problème de la pollution industrielle à Sfax, en fermant l’usine de la Siape, mais il doit aussi se tourner vers une autre ville victime de la pollution industrielle, Gabès.
Par Abdellatif Mrabet *
Le 8 août 2019, le ministère de l’industrie et des PME a ordonné l’arrêt immédiat de l’activité de l’unité de production du triple super phosphate (TSP) exploité par le Groupe chimique tunisien (GCT) à Sfax. Cette décision, précise le communiqué ministériel, fait suite à l’engagement pris par le chef du gouvernement d’arrêter toute activité de la Société industrielle d’acide phosphorique et d’engrais (Siape) si elle s’avérait polluante.
Insuffisamment commentée par les médias, cette nouvelle doit être vivement saluée car il est réconfortant et juste de voir le gouvernement prendre de telles mesures de salubrité publique et se préoccuper si ouvertement d’environnement.
La pollution à Sfax est une triste réalité qui a trop duré et il est temps que ses stigmates ainsi que ses méfaits soient effacés à jamais. Cette décision que d’aucuns trouvent tardive, d’autres électoraliste – du moins par le timing –, d’autres encore manœuvrière, n’en est donc pas moins appréciable.
Cependant, une telle réaction du gouvernement en appelle aussi à se préoccuper d’autres points de pollution, tant il est vrai que la production de TSP dans notre pays n’est pas restreinte à Sfax et que, de l’avis de tous, le traitement des phosphates pose plus d’un problème écologique à plus d’un endroit.
Après Sfax, penser à la dépollution de Gabès
Gabès, la grande ville du Sud-Est, en est sans doute la plus affectée, minée par des activités industrielles d’autant plus nocives qu’elles sont implantées à l’intérieur du périmètre urbain. Oasis maritime exceptionnelle, unique au monde, en 2008 inscrite sur la liste indicative du patrimoine mondial – catégorie site mixte, naturel et culturel –, elle est aussi, depuis 1972, un site de production d’acide phosphorique marchand (MGA), de di-ammonium phosphaté (DAP), de phosphate de calcium (DCP), d’ammonitrate et de TSP…
L’impact négatif de toutes ces activités sur l’environnement y est d’autant plus avéré qu’elles mettent en œuvre des produits toxiques et qu’elles nécessitent des procédés industriels délicats, entraînant des rejets solides, gazeux et liquides qui pour la plupart nuisent à la nature et à l’homme. Nombreuses expertises internationales ont aujourd’hui rendu compte de la réalité de ces dégâts que les autorités d’avant janvier 2011 avaient longtemps et fermement tus, niés, inhibés.
De leurs côtés, les études d’impact ne manquent pas, souvent commanditées par l’Etat lui-même. Portant tout aussi bien sur la santé que sur la biodiversité – mer et oasis – et l’économie (pêche, agriculture, tourisme), elles tendent toutes vers un même constat de démystification de cette idée longtemps rabâchée de l’industrie systématiquement bienfaitrice et en appellent – indirectement – à un nouveau modèle de gouvernance où le citoyen doit être partie prenante dans les décisions de gestion…
L’Etat doit assumer ses responsabilités économiques et sociales
Cependant, pour Gabès, face à la pollution et à ses effets, le ministère de l’Industrie et des PME oppose une inertie d’autant plus incompréhensible que, là aussi, rendu sur place, le chef du gouvernement avait déjà promis d’agir…
En juin 2017, voici plus de deux ans, lors d’un conseil ministériel restreint tenu à cet effet, il a même évoqué la possible délocalisation de certaines activités ainsi que le démantèlement par étapes de certaines unités polluantes. Depuis, il n’en a rien été et les diverses propositions de délocalisation – du côté de Ouedhref puis à El Mekherchema – sont restées vœu pieux…
En attendant, le déversement du phosphogypse dans la mer continue, cela d’ailleurs en dépit d’une valorisation possible et envisageable de ce déchet recyclable…
À quand donc les assainissements promis par les autorités ? L’Etat ne doit-il pas, à Gabès aussi, assumer ses «responsabilités économiques et sociales» et agir rapidement de façon à initier une nouvelle gouvernance environnementale ?
* Professeur des universités, directeur de laboratoire de recherche à l’Université de Sousse.
http://kapitalis.com/tunisie/2018/04/10/environnement-pour-quon-nacheve-plus-les-palmiers-a-gabes/
http://kapitalis.com/tunisie/2017/08/26/mais-quattendons-nous-pour-sauver-gabes/
L’oasis de Gabès, un patrimoine à sauver et à valoriser
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