La jeunesse tunisienne, comme la jeunesse mondiale se prévalant de l’internet, n’a cure des clivages idéologiques hérités de la Guerre froide à qui se doublent dans nos contrées les clivages factices entre hyper-musulmans et mauvais musulmans. C’est une jeunesse pragmatique qui refuse les ostracismes, elle est capable d’absorber les différences qui la traversent, qui du premier abord paraissent inconciliable.
Par Ali Bouaziz *
Témoignage pour l’Histoire. Dimanche 20 octobre 2019, une semaine après les élections présidentielles, je fus ébahi, et je le suis encore ! Ébahi par la force de caractère du peuple tunisien, singulièrement celle de sa jeunesse, qui, à l’improviste, comme en 2011, nous donne toujours des leçons dont elle seule sait les secrets. Instinctivement, hors de toute emprise d’aucune formation politique syndicale ou associative et bravant les saynètes de mauvais aloi de tous les acrimonieux et toutes les acrimonieuses invétérées, elle a accompli un devoir citoyen jamais réalisé auparavant même au temps de l’État surpuissant jouissant de gros moyens de mobilisation soient directs, soient sournois. La jeunesse ne semble plus, dorénavant, lâcher prise, tant mieux et je la convie à y tenir bon.
Le mouvement spontané qui a commencé au cours de la semaine, et qui a trouvé son paroxysme dimanche dernier, a enchanté plus d’un. D’habitude, je suis rétif au réflexe du «j’aime, j’adore», sur Facebook; d’ailleurs, je fais peu de cas les concernant pour les statuts que je publie; cependant, ce jour-là, j’ai spontanément mitraillé de «j’aime, j’adore» les pages Facebook relatant les actions citoyennes réalisées dans toutes les villes et tous les quartiers de la Tunisie; et il serait fastidieux d’essayer de les énumérer toutes. Pour l’une des rares fois le réseau social a joué un rôle éminemment salutaire.
L’intelligence collective est infaillible
Ce dimanche-là, jour faste, les ondes positives ont envahi le pays. Un grand ménage a touché quelques portions urbaines qui ont été envahies par la saleté. Cerises sur les gâteaux : on remplace les tags noirs de mauvais goût par des fresques murales qui dénotent une fraîcheur débordante initiée par la jeunesse du pays.
Ici, le bénévolat spontané prend toute sa mesure; il est fait sans aucune attente en retour; c’est pour cela qu’il est efficace et noble. Sans faire de barbare extrapolation, je le rapproche de l’esprit Wikipédia quoique les deux phénomènes sont de premier abord discordants.
Je m’explique. L’esprit Wikipédia, qui est immensément moderne, est fondé sur les maîtres-mots suivants : collégialité, absence de hiérarchie rigide, correction en continu, libre arbitre et bannissement des enjeux pécuniaires, outre celles de gloire personnelle étant que tout se fait dans l’anonymat. Dans ce type de climat, fondé sur la confiance, les hommes montrent ce qui est le meilleur d’eux mêmes. Ici, l’intelligence collective joue pleinement son rôle, elle est l’avenir de l’humanité, nos jeunes ont en goûté les délices lors des élections présidentielles et maintenant via ces actions citoyennes. Les travaux de nettoyages et d’embellissement des villes ont été déclenchés sur Facebook sur le schéma décrit en supra, mais leur réalisation s’est faite en plein jour, pas seulement, photos et caméras en sus.
La déprime des hautains
La gesticulation des faux objecteurs de conscience contre ces actions citoyennes est une manifestation de leur crainte de perdre leur mainmise sur la conscience officielle à travers le «bien pensé» qu’ils essayent d’imposer à la société tout entière. À toujours rechercher des anguilles sous roches, on tombe dans le ridicule. Les questions qu’ils n’arrêtent pas de poser pour flétrir cet élan juvénile sont : Qui manipule ces actions de lèse-docte ? À qui profitent-elles ? Immanquablement anachroniques, nos défaitistes assènent les mêmes arguments à des enjeux différents. Ils croient, naïvement, que les partis politiques et apparentés s’investissent à cor et à cri pour des actions citoyennes en période post-électorale dont ils ne tirent aucun profit ; ici le ridicule ne tue pas; mais, toujours est-il reste risible.
Intelligente, pragmatique, dans l’air du temps la jeunesse tunisienne, rejettera les rodomontades des brailleurs publics qui transforment, invariablement, leurs caquetages en jactances. La société tunisienne montre avec force arguments qu’elle ne veut plus du verbiage, elle veut des actes. Elle finira par bannir à jamais, et tant mieux, tout discours hégémonique creux; cela a commencé par les facondes médiatiques spécialement télévisuelles, les diarrhées verbales sur Facebook suivront; enfin, et cela ne saurait tarder, les discours ronflants des coqs des mosquées qui vont finir par ne plus trouver preneur.
Maussades, ils sont devenus des personnages rébarbatifs, des rabat-joies professionnels, leur grand souhait est que tout cela sera sans lendemain, qu’il capote; cela flattera leurs ego. En majorité, ils n’ont jamais dit «non» à Ben Ali et n’ont jamais dit «oui» en démocratie, leurs fanfaronnades du moment sont inaudibles en dehors du microcosme douillet où ils se prélassent déraisonnablement.
Peuple populiste !
Le populisme, mot galvaudé, qui sert de boulet contre les adversaires ou contre ceux qu’on ne connaît pas; singulièrement, maintenant, contre ceux proches du peuple qui lui trouve du génie et dans ses choix et dans ses actions. Contre ceux qui ont une haute idée à propos de la justesse des choix populaires quand on fait jouer le principe de l’infaillibilité de l’intelligence collective exercée dans un climat de libre arbitre. Le peuple tunisien par ses actions du dimanche a, parait-il, versé, lui-même, dans le populisme selon une belle formule propagée ces temps-ci sur le net; qu’à cela ne tienne !
Cependant, on rencontre toujours des prêtres de la déprime. Le peuple qu’il infantilise devient manipulable à souhait, il est berné par les démagogues. D’autres poussent l’affront jusqu’au bout pour refuser carrément le verdict des urnes sous le prétexte que la majorité a voté aussi pour Hitler. Tous ou presque ont voté Abdelkarim Zbidi, recalé le monsieur, ils continuent à broyer du noir malgré qu’il a montré ses limites; le système, même végétatif, continue sa néfaste besogne.
«Daechiens» de tout bord unissez-vous !
Les Daechiens dans les montagnes, qui manient armes blanches et armes à feu, trouvent dans la ville leurs répondants, qui tirés à quatre épingles, vivant parmi les hommes, manient feux d’artifice intellectuels, pétards mouillés idéologiques, plus graves, ils manœuvrent à leurs comptes les armes symboliques à forte nuisance qu’ils détiennent et qui ne se justifient pas par ce qu’ils sont, mais par des raccourcis sur leur ascendance intellectuelle les rattachant à l’université devenue presque stériles après la retraite de ses pères fondateurs; à la caste des tenants du droit-de-l’hommisme en mal de nouvelles batailles, à la fratrie des gardes-chiourmes du politiquement correct…
Finalement, à tous ceux déconnectés de la réalité, transférant leurs propres lésions psychologiques sur les autres, et qui sont devenus vraiment des personnages toxiques à disposition contagieuse.
Les mélancoliques impénitents soufflant des élégies funèbres sur le sort de la triste Tunisie après les dernières élections, en rapetissant, par-dessus le marché, l’élan salvateur de la jeunesse, ne font que mettre ses plus actifs éléments dans les bras de Daech des montagnes.
La jeunesse tunisienne, comme la jeunesse mondiale se prévalant de l’internet, en général, de Wikipédia, de Facebook, d’Instagram et consorts, en particulier, n’a cure des clivages idéologiques hérités de la Guerre froide à qui se doublent dans nos contrées les clivages factices entre lesdits hyper-musulmans, semi-musulmans, faux-musulmans et non-musulmans. C’est une jeunesse pragmatique qui refuse les ostracismes, elle est capable d’absorber les différences qui la traversent, qui du premier abord paraissent inconciliable.
Ni jeunisme, ni angélisme
Je ne verse pas dans le jeunisme; seulement, je suis totalement confiant en les capacités d’innovation et de résilience de la jeunesse tunisienne. Elle a fait la révolution de 2011, elle a laissé les rênes entre les mains des aînés pendant huit ans. Elle a trouvé en Kaïs Saïed son idole dont elle lui rend si bien; elle a repris sa libre initiative. Lui, il n’a pas droit à ne pas être à la hauteur des ces attentes, elle-même doit, dorénavant, rester aux aguets pour marquer son territoire et pour sauvegarder sa libre initiative, spécialement pour qu’on ne puisse plus la pigeonner.
Mouvement spontané répondant à un sentiment de fierté nationale post-électorale, oui. Mouvement spontané initié par une jeunesse qui ne se trouve point dans le système actuel, oui. Mouvement spontané sans accointance partisane annoncée ou occulte, oui. Néanmoins, les récupérateurs de tous bords vont pointer du doigt; ceux qui ont, les premiers, annoncé la couleur sont les apprentis sorciers naviguant dans la sphère religieuse. Attention ! La religion divise plus qu’elle ne fédère. À leur attention nous rétorquons l’adage arabe qui dit : la meilleure des ruses est de bannir toutes les ruses.
Note de fin, avance, fonce la jeunesse, tu nous épates.
* Directeur du site Ibn Khaldoun.
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