La visite surprise qui a été effectuée hier, 26 décembre 2019, par le président turc Recep Tayyip Erdoğan, à Tunis, pour rencontrer son homologue tunisien, Kaïs Saïed, ne cesse de faire couler de l’encre dans les presses tunisienne, arabe et mondiale, et pour cause… le fait qu’elle porte sur un conflit politique d’envergure et particulièrement délicat : celui de nos voisins Libyens.
Par Cherif Ben Younès
Le fait qu’Erdoğan était accompagné par les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Mevlut Cavusoglu et Hulusi Akar, ainsi que le chef du Renseignement, Hakan Fidan, le directeur de la Communication présidentielle, Fahrettin Altun et le porte-parole de la présidence turque Ibrahim Kalin, a fait que les projecteurs soient davantage braqués sur Tunis.
Ce qui est, par ailleurs, marquant c’est la divergence qui a caractérisé le traitement médiatique de cette rencontre…
Mais avant tout, expliquons ce qu’il en est de la situation turco-libyenne actuelle.
La Turquie soutient le gouvernement Sarraj
Il n’est un secret pour personne que la Turquie soutient le gouvernement d’union nationale jouissant de la légitimité internationale et conduit par Fayez Sarraj, ainsi que les milices islamistes à l’ouest de la Libye, et ce pour des raisons principalement idéologiques, la Turquie étant elle-même gouvernée par un parti islamiste : Parti de la justice et du développement (AKP).
Ce soutien s’est notamment matérialisé, dernièrement, via les deux accords turco-libyens controversés, signés en novembre dernier, et portant, d’une part, sur la délimitation maritime entre les deux pays et, d’autre part, sur la coopération sécuritaire et l’envoi d’une éventuelle aide militaire turque en Libye.
Dans le même cadre, Erdogan a annoncé aujourd’hui que le parlement turc examinera en janvier «une motion autorisant l’envoi de troupes en Libye pour soutenir le gouvernement d’union nationale face aux forces de Khalifa Haftar.»
Pour la Tunisie, seules les solutions de paix doivent être envisagées
La Tunisie a, quant à elle, une position beaucoup plus neutre et, surtout, en harmonie avec sa doctrine en matière de politique internationale, fondée sur le respect de la légitimité internationale, certes, mais qui encourage également les solutions potentielles de paix susceptibles d’aboutir à la fin de la crise libyenne entre toutes les parties prenantes, sans exception, à savoir le gouvernement de Sarraj, les troupes de Khalifa Haftar et les tribus libyennes. Toutes étant officiellement reconnues par notre Etat.
Le président Saïed a, dans ce sens, appelé, via un communiqué rendu public lundi dernier, «tous les Libyens à s’asseoir à la table des négociations pour parvenir à une formule de sortie de crise».
Alors que la presse internationale a rappelé ces faits, tout en relayant la déclaration d’Erdoğan accordée à l’agence de presse mondiale, Reuters, évoquant, logiquement, une discussion entre les parties tunisienne et turque sur les «moyens de coopération possibles afin de parvenir à un cessez-le-feu en Libye, dans le cadre de la relance du processus politique», certains médias arabes et tunisiens ont été, quant à eux – et c’est le moins que l’on puisse dire – à côté de la plaque.
La presse tunisienne s’est naïvement laissée manipuler
Se laissant brouillés et manipulés par un article paru sur le site de la chaîne de télévision Sky News Arabia, ils ont affirmé qu’Erdogan a parlé, dans une déclaration rapportée par Reuters, de la signature d’un prétendu accord avec la Tunisie pour soutenir le gouvernement de Fayez Sarraj. Laissant entendre que Saïed abandonne désormais la neutralité tunisienne envers ce dossier.
Or une telle info n’existe nulle part, même si la version britannique du site international indique vaguement que que la Tunisie et la Turquie soutiendront le gouvernement Sarraj. Une déclaration ambiguë et presque en contradiction avec l’article paru dans la version principale du site, ce qui remet en doute sa crédibilité, surtout qu’elle a été rédigée par un journaliste turc opérant à Ankara…
Mais en définitive, même cet article n’apporte rien de nouveau puisque, comme déjà expliqué, la Tunisie reconnaît la légitimité internationale du gouvernement Sarraj et le soutient donc, de facto.
Pour ce qui est de Sky News Arabia, il s’agit d’un média émirati dont la ligne éditoriale est particulièrement propagandiste en ce qui concerne les questions touchant aux intérêts des Emirats arabes unis, une nation où la liberté de presse est quasiment absente et qui soutient, corps et âme, le maréchal Khalifa Haftar.
Cet épisode doit servir de leçon à nos médias tunisiens qui sont appelés à vérifier toute information traitant d’un sujet aussi important, mettant en jeu la politique étrangère de notre Etat et notre sécurité nationale.
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