Le vert a été mis cette année dans la douillette station montagneuse des Grisons (Est Suisse) pour la cinquantième édition du Forum économique mondial de Davos. Un premier pas qui annonce qu’une conscience mondiale écologique est en train de naître.
Par Hassen Zenati
Tout le monde en convient : Davos est le lieu des discours, de l’idéologie et souvent de la bonne conscience. On y vient d’abord pour se montrer: It’s the place to be, disent les Anglo-saxons. C’est l’endroit où il faut être. Chacun dans son rôle : les ultralibéraux vont se battre comme des chiens pour défendre leur vision ultralibérale de la société et du monde, et les «altermondialistes» pour appeler en faveur d’un «autre monde» plus clément pour les pauvres et les laissés-pour-compte. À cette différence près et assumée des deux côtés : les uns parlent à partir de pupitres dressés dans une confortable salle de conférences conditionnée à excellente température, et les autres s’égosillent à ciel ouvert dans un froid glacial en agitant leurs pancartes dérisoires, derrière un épais barrage de gendarmes marquant une frontière infranchissable entre deux mondes.
La finance mondiale a bonne conscience
Cette année, pour sa cinquantième édition, ouverte mardi 21 janvier 2020, ce sont près de 3.000 participants, venus de 117 pays : patrons de multinationales, banquiers, représentants politiques, activistes de la société civile, qui se bousculent (simple image) pour débattre d’un thème inhabituel dans ces parages : l’environnement. Ils auront payé 53.000 euros chacun pour accéder à ce nirvana de la haute finance, sauf les invités directs, qui sont pris en charge, comme cette année la jeune suédoise de 16 ans, Greta Thumberg, qui occupe depuis des mois les tribunes internationales avec comme leitmotiv asséné aux adultes comme un lourd reproche : how you dare? (comment osez-vous ?) négliger la planète en détresse et sacrifier ainsi le sort des générations futures.
Greta Thumberg, qui avait participé en 2019 au Forum de l’extérieur, a pu ainsi franchir le seuil symbolique du Palais des conférences pour être «dedans». Elle est accompagnée de quelques dizaines d’autres jeunes de son pays, et d’une zambienne de 18 ans, à peine son aînée, Natasha Mwansa.
Autre invité quelque peu «exotique» aussi, Micah White, l’un des initiateurs du mouvement américain furieusement anti-finances, «Occupy Wall Street», qui s’attend pour sa part à un retour de bâton douloureux de la part de ses compagnons d’armes n’ayant aucun penchant pour ce genre de cénacles.
Pour «un monde solidaire et plus durable»
Si jusqu’ici, comme le proclamait feu le président français Jacques Chirac : «Notre maison brûle et nous (Davos compris) regardons ailleurs», le tournant est désormais pris sur injonction du fondateur du Forum, l’Allemand Klaus Schwab, 81 ans. Il a solennellement décrété que «le monde (était) en état d’urgence», en choisissant pour mantra de l’édition 2020 : «Un monde solidaire et plus durable», comme un souffle bienfaisant balayant les sommets enneigés de Davos, et en mettant la pression sur les participants : «la fenêtre pour agir est étroite».
Dans le rapport annuel Global Risks, publié en ouverture de l’événement planétaire, sous la plume de 750 dirigeants du gratin mondial, le Forum pointe les désordres climatiques comme principaux risques à moyen terme pour l’équilibre économique du monde. En tête, les désastres causés à la planète par l’homme (fuites de pétrole, contaminations radioactives etc.), les pertes importantes de biodiversité, les menaces d’effondrement de l’écosystème et les catastrophes naturelles majeures comme les tremblements de terre, les tsunamis, les tempêtes et ouragans sous formes diverses, parfois encore inédites. Au moment où ils préparaient ce rapport passablement alarmiste, plus d’un milliard d’animaux périssaient en Australie, dans le plus gigantesque incendie de forêt jamais enregistré dans le monde.
La confrontation Greta Thunberg-Donald Trump
Dans les allées feutrées du Palais des conférences des Grisons, la confrontation était inévitable entre la jeune activiste suédoise, Greta Thunberg, qui ne mâche pas ses mots, et le président des Etats-Unis, Donald Trump, venu moins pour défendre ses positions climato-sceptiques, connues et ressassées, farouchement opposées à toute intervention des Etats dans la politique environnementale, que pour prendre un bol d’oxygène sur les montagnes suisses, et échapper ainsi à la pression de Washington où s’ouvrait le procès pour «impeachement» (destitution) qui lui est intenté par les Démocrates pour ses présumés connivences coupables avec les Russes lors des dernières élections présidentielles, sur le dos de leur égérie Hillary Clinton. Une affiche alléchante, qui a tenu ses promesses.
À la fougueuse adolescente qui fustigeait, à son habitude, l’inaction des adultes dans un monde en danger, soulignant qu’«en pratique rien n’a été fait, les émissions de CO2 n’ont pas diminué», et que «même si les changements à faire sont inconfortables pour vous (adultes), nous (jeunes) nous ne céderons pas dans ce combat qui est celui de ma génération», le président américain, égal à lui même, sûr de son fait, hautain, à la limite de l’arrogance, a répondu en dénonçant les «prophètes de malheur» qu’il «faut rejeter», a-t-il tranché, ainsi que «leurs prédictions d’apocalypse», sans jamais évoquer une seule fois les énergies renouvelables. «Le temps du scepticisme est terminé, les entreprises affluent de nouveau aux Etats-Unis», a-t-il ajouté, vantant une politique économique résolument libérale à l’intérieur, qui lui a permis, selon ses calculs, de relancer l’économie américaine et de faire reculer le chômage.
Le vieux monde et le nouveau monde ne s’écoutent pas
Le «Davos spirit» d’un capitalisme responsable et partenarial, comme le voulait le fondateur du Forum, ne planait pas sur les lieux ce jour-là. Dialogue de sourds. Le vieux monde et le nouveau monde se parlent, certes, mais ils ne s’écoutent même pas parler.
Au-delà de l’environnement et de ses controverses récurrentes, le Forum de Davos veut aussi rectifier l’image de «club des riches» qui lui colle à la peau depuis sa création. Depuis son lancement en 1971, la population mondiale est passée de 3,7 à 7,7 milliards de personnes, dont la moitié est accrochée à la toile et utilise internet, mais les inégalités n’ont cessé de se creuser et la pauvreté, si elle ne s’étend plus, un milliard de personnes en sont sorties, ne recule pas pour autant, parce que d’autres ont rejoint entre temps les cohortes des laissés pour compte. L’Organisation non-gouvernementale Oxfam, avec la régularité d’un métronome, est venue de nouveau le rappeler aux participants. Son rapport dénombre 2.150 milliardaires détenant autant de richesse que les 4,6 milliards de personnes les plus pauvres dans le monde. Chiffres vertigineux, écarts énormes. Pour les «altermondialistes», même si à Davos on commence à percevoir un frémissement de prise de conscience des problèmes qui secouent le monde, en dehors de la sempiternelle régulation financière, son sujet de prédilection, les rectifications évoquées ne s’exerceront qu’à la marge, sans se traduire par un changement profond de comportement. On parle certes toujours plus, entre dessert et fromage, de «sustainability» (durabilité) et d’«empowerment» (autonomie), deux concepts positifs, mais vagues du lexique davosien, mais lorsqu’il s’agit de passer aux actes, les «décideurs» ne se bousculent pas au portillon, regrettent-ils.
Recettes écologiques pour faire ronfler les moteurs du capitalisme
Cette année, Klaus Schwartz, à l’imagination très fertile, s’est fendu de quelques mesures pour limiter le nombre de participants déferlant en jets privés en pleine crise de l’environnement, en favorisant les arrivées par train. Il s’est ingénié aussi à restreindre le ballet d’hélicoptères et de limousines qui envahissent pour le temps de la conférence la petite station tranquille, banni les ustensiles en plastique à usage unique et limité le nombre de plats de viande servis à la «cantine». C’est un premier pas qui conforte les bonnes consciences, mais il en reste des milliers d’autres à franchir avant que le monde ne prenne le chemin d’une transition écologique efficace, sans faux fuyants. Car l’objectif de Davos est moins de se laisser griser par l’air du temps, que de faire ronfler les moteurs du capitalisme pour lui permettre de perdurer, quitte à emprunter quelques recettes écologiques pour le verdir.
Donnez votre avis