Après avoir longtemps refusé (ou fait semblant de refuser) la participation de Qalb Tounes au gouvernement Jemli, le parti islamiste se met maintenant à indirectement menacer de ne pas donner sa confiance à celui de Fakhfakh si ce dernier s’obstine à refuser l’idée d’un gouvernement d’union nationale, ou dit autrement, d’un gouvernement excluant… Qalb Tounes.
Par Cherif Ben Younès
Difficile d’espérer une déclaration aussi claire de la part d’un dirigeant d’Ennahdha, mais c’est, globalement, ce qu’a laissé entendre ce matin, mardi, 28 janvier 2020, Imed Khemiri, porte-parole du mouvement, lors de son apparition à l’émission «El matinale», sur Shems FM.
«Nous n’imposons pas un gouvernement d’union nationale, mais c’est l’intérêt du pays qui l’exige», a-t-il notamment indiqué, reprenant ce bon vieux prétexte passe-partout de l’«intérêt national», tant cher aux politiciens, où les responsabilités des partis sont diluées dans une responsabilité collective évanescente.
Ennahdha : Jamais sans Qalb Tounes
«Lorsque le chef du gouvernement désigné choisit une ceinture politique qui se limite à des éléments spécifiques, nous considérons que ce gouvernement n’a pas les ingrédients du succès. Par conséquent, une éventuelle participation d’Ennahdha serait en réalité une participation à un gouvernement pouvant échouer», a-t-il poursuivi, toujours avec cette manie de couper le cheveux en quatre chère aux islamistes, toujours fuyants et insaisissables, se la coulant douce dans une irresponsabilité collective.
Critiquant le critère qu’adoptera Elyes Fakhfakh pour choisir les partis avec lesquels il composera son gouvernement, à savoir le soutien de Kaïs Saïed lors du 2e tour de la présidentielle de 2019, Imed Khemiri a estimé que le gouvernement doit, plutôt, être basé sur les programmes économiques des partis et pas sur cette élection, «parce que les citoyens ont voté pour Kaïs Saïed sur la base de ses prérogatives en tant que président de la république et pas sur la base d’un programme gouvernemental», ajoute-t-il.
Le Nahdhaoui a, dans le même ordre d’idées, expliqué que «le gouvernement du président» est un concept inconstitutionnel, et que le gouvernement Fakhfakh est «celui de l’article 89 de la constitution».
«Elyes Fakhfakh est donc appelé à étendre les consultations avec toutes les parties [par allusion à Qalb Tounes], à l’exception de celles qui refusent et s’excluent elles-même [par allusion au Parti destourien libre], développe-t-il, et ce afin que nous n’allions pas, Dieu nous en préserve, à des élections anticipées».
M Khemiri assure néanmoins que les élections anticipées ne représentent pas une menace, mais une possibilité, «étant l’une des solutions constitutionnelles si la classe politique n’arrive pas à former un gouvernement fort et ayant la capacité de travailler».
Abir Moussi et le PDL en embuscade
Toutefois, tout semble indiquer que le fait d’évoquer aussi régulièrement cette hypothèse par les islamistes est bel et bien une menace. En effet, il serait peu probable qu’Ennahdha opte pour cette option et prenne le risque de perdre des sièges parlementaires, quelle que soit la composition gouvernementale, et ce notamment au vu des résultats des derniers sondages des intentions de vote, effectués par les bureaux d’études et de statistiques, plaçant désormais le parti islamiste au coude-à-coude avec son ennemi juré, le Parti destourien libre de Abir Moussi.
En tout cas, ce qui est sûr c’est que la vieille amitié entre Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, et Nabil Karoui, président de Qalb Tounes, a repris et elle est plus que jamais intense. Sinon qu’est-ce qui expliquerait cette pression exercée par le parti islamiste sur Elyes Fakhfakh?
Les deux hommes ont des intérêts sinon communs du moins similaires, et semblent décidés à barrer la route à tout gouvernement qui ferait de la lutte contre la corruption une priorité nationale, comme cela semble le cas de celui que Elyès Fakhfakh est en train de former.
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