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Système éducatif tunisien : une obligation de réforme

Lycée Sadiki à Tunis, première institution éducative moderne instaurée en Tunisie en 1875 (Ph. Wikipédia).

En l’état actuel, le système éducatif en Tunisie demande impérativement une profonde réforme, c’est un constant et une demande collective; il a pleinement montré ses limites, l’institution n’éduque que médiocrement, ne forme que passablement et ne justifie plus l’énorme budget que la société consent à lui allouer.

Par Ali Bouaziz

Le système éducatif tunisien institué par la loi d’orientation n° 80 du 23 juillet 2002, relative à l’éducation et à l’enseignement scolaire, a été conçu au début du siècle par les meilleures têtes pensantes du ministère de l’Éducation de l’époque, qui était à leur seconde tentative; la première fut la loi de 1991 chapeautée par feu Mohamed Charfi, dont aucun ne peut douter de la compétence ni lui attribuer une quelconque irresponsabilité.

Néanmoins, ce système a montré, dès 2008, son incurie, qui ira crescendo. Les meilleures preuves sont le décalage flagrant entre ce que consent la société à mettre au profit de l’éducation qui s’arroge en moyenne le quart du budget de l’État, et les sacrifices pécuniaires que les familles consentent à payer; alors que le bilan est mitigé. Cela concerne, au final, le nombre des diplômés, la qualité de leur formation, leur employabilité post-universitaire, outre l’incivilité ambiante qui, justement, montre un déficit d’éducation.

À cette preuve endogène au système actuel s’ajoute une autre, non moins congruente, quoiqu’exogène, à savoir les derniers rangs réservés à nos élèves dans les concours d’évaluation internationaux, les TIMSS et PISA qui reflètent l’inefficacité de notre système, particulièrement sa non-efficience vu la modestie de ses performances eu égard aux moyens mis à sa disposition; fuite en avant oblige, on n’a trouvé mieux que de ne plus y participer !

Mohamed El Hamdi, outsider qui a réussi à s’imposer

Le nouveau ministre, Mohamed El Hamdi, dès le moment où il fut désigné à occuper la charge de ministère de l’Éducation, a fait l’objet d’une basse compagne de dénigrement comme s’il était un ovni qui a atterri subrepticement dans le microcosme politique, milieu qui n’est pas le sien sous des prétextes liés à son habitus, à sa région ou à son métier, quelle indécence !

C’est vrai qu’il est quadragénaire, bientôt quinquagénaire, qui n’a pas eu encore l’immunité de l’âge; néanmoins, professeur de philosophie, il a gravi tous les échelons électifs au niveau syndical jusqu’à devenir membre, au temps de Ben, Ali de la direction du syndicat des enseignants du secondaire et ce n’est pas rien. Au niveau politique, il fut pour un temps coordinateur du parti l’Alliance démocratique, entre 2012 et 2017 qui a fédéré les transfuges du parti Al-Jomhouri puis depuis 2017 vice-président du Courant démocratique (Attayar), et encore ce n’est pas rien.

Mohamed Hamdi.

Ses qualités humaines intrinsèques, sa formation, ses expériences syndicales et politiques variées font de lui un ministrable qui ne souffre d’aucun manquement. C’est à lui, sans précipitation aucune, de montrer ces aptitudes ; puis de démontrer qu’il est porteur d’un projet de réforme du système éducatif tunisien. À côté de son projet, nous nous permettons de lui proposer les idées qui vont suivre; si quelques-unes sont recevables, tant mieux; si toutes sont à mettre aux oubliettes, tant pis.

Balises pour une réforme du système éducatif

En l’état actuel, le système éducatif en Tunisie demande impérativement une profonde réforme, c’est un constant et une demande collective; il a pleinement montré ses limites, l’institution n’éduque que médiocrement, ne forme que passablement et ne justifie plus l’énorme budget que la société consent à lui allouer.

Pour trouver les bons remèdes, il faut éviter les écueils de la logomachie fastidieuse du théoricisme déconnecté de la réalité, fondé sur des paradigmes généralement brillants en spéculation intellectuelle, mais ternes en application; singulièrement quand il veut transplanter localement des solutions nées sous d’autres cieux. Il faut également bannir les replâtrages au jour le jour via des actions disparates sans queues ni têtes que rien n’associe.

Ici, l’idéal est le juste milieu que représente le pragmatisme intelligent : un diagnostic objectif de la réalité dans sa globalité, puis dans ses détails et proposer des solutions efficientes au moindre coût pour chaque détail, le temps n’est plus aux prodigalités, ce qui permet finalement de résoudre tous les maux du système dans sa globalité.

Les maîtres-mots qui devront guidés tout projet de réforme seront : un élève équilibré, intégré dans l’air du temps, intelligent, indépendant intellectuellement et ayant un projet d’avenir.

Deux types d’élèves

Pour ceux qui ne la savent pas, nous sommes en train de produire deux sortes d’élèves; d’un côté, ceux qui iront vers les collèges et les lycées pilotes qui sont la crème de la crème qui, presque seuls, justifient la pérennité du système actuel; de l’autre côté les autres qui forment l’écrasante majorité de nos élèves.

Cette majorité se divise en trois catégories : les bons élèves qui le sont par leurs propres efforts, l’écrasante majorité qui sont les élèves passables pour ne pas dire médiocres dont les capacités et les performances sont en définitive juste moyennes et encore. Volens nolens, ils vont réussir au bac avec rachat, le jour où ils obtiendront un diplôme supérieur, ils vont harceler la société et l’État par des demandes de recrutement sous l’allégation qu’ils sont des diplômés de l’enseignement supérieur forcés au chômage; alors que le niveau d’instruction de certains est presque nul ! Tous les DRH vous le diront.

Il en reste ceux qui de l’école buissonnière vont irrémédiablement se trouver au ban de l’école; leur nombre dépasse la moyenne de 100.000 élèves chaque année, quel gâchis, vu l’état actuel de saturation du marché du travail, en puissance, ils viennent grossir les rangs du lumpenprolétariat.

Sont-ils voués à le faire ?

Depuis plus d’une décennie, aucun ministre n’avait mis les pieds au ministère tout en étant porteur d’un projet de réforme. Tous se sont satisfaits de gérer le quotidien; tous dépourvus de projets se sont fiés à ce que les directeurs généraux leur en ont donné d’informations et de suggestions, qui parfois n’étaient pas trop catholiques. Le staff actuel du ministère de l’Éducation est-il capable de mener une réforme profonde du système éducatif tunisien tel qu’établi par la loi de juillet 2002, relative à l’éducation et à l’enseignement scolaire ?

Se constituant en chapelle hermétique, quelques directeurs, non tous et nous insistons sur cette nuance, avant toutes choses par un réflexe de survie, se défendaient les uns les autres; une réflexion sur la réforme du système actuel serait leur dernier souci, sinon cela se saurait. Pour preuve le ministère de l’Éducation est jugé par l’Instance nationale pour l’accès à l’information (INAI) comme étant le ministère le plus opaque, celui qui collabore le moins avec elle. Cela se traduit par le constat suivant : certains directeurs essaient de toujours maintenir les cadavres dans les placards.

Monsieur le ministre de l’Éducation, si vous le permettiez, prenez en aparté votre collègue ministre de la Défense, ancien président de l’INAI, il vous dira la vérité. La chapelle ne peut rien produire de bon; néanmoins, il ne faut pas brusquer les choses jusqu’à la fin de l’année scolaire, l’été est porteur de conseils !

Presque tous les ministères de l’Éducation dans le monde sont des ministères conservateurs, ce sont des machineries très lourdes qu’il serait difficile à faire changer de rails, parfois même à faire bouger. Nos ministres depuis plus d’une décennie n’ont pas dérogé à la règle. Aucun n’a su imposer à tous, ceux à l’intérieur du ministère et a ceux à son extérieur un draft à discuter pour un projet de réforme.

Que faire ?

Réformer l’éducation n’est jamais, en réalité, l’apanage d’un individu, soit-il un génie, mais l’affaire de groupes de travail à composantes multiples. Commençons par le haut staff du ministère, il sera urgent d’y démêler l’ivraie de la bonne graine. Il faut que chacun des directeurs généraux et directeurs produise un condensé d’une dizaine de pages sur l’état de la direction dont il est responsable et qu’il annonce des orientations de réforme, les rendre publics c’est de la glasnost.

Qui jugeront ces rapports ? En premier lieu, monsieur le ministre; toujours est-il qu’il peut déléguer cette tâche à d’autres; qui sont-ils ? Le ministère de l’Éducation comptant presque le tiers des actifs de la fonction publique, doit avoir des compétences de tous les niveaux pour juger convenablement tout ce qui a trait à l’éducation.

Normalement le ministère dispose d’un carnet d’adresses de ses meilleures compétences à qui on doit faire appel, si eux le veulent bien, parmi les gérontes retraités qui ont fait leurs preuves : directeurs généraux et directeurs, inspecteurs généraux, conseillers en information et en orientation scolaire et universitaire généraux, commissaires régionaux…

Le décret 3779 du 21 décembre 2009, relatif à l’organisation du ministère de l’Éducation et de la Formation n’a pas créé une instance qui les regroupe institutionnellement sous la forme d’un sénat du ministère, il faut songer à le faire. Par ailleurs, le décret 2260 du 10 octobre 2000 fixant les attributions, la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de l’éducation était, dès sa naissance, devenu obsolète; il n’a jamais fonctionné, sa composition fourre-tout est un handicap non un avantage.

Les directeurs, sans visions claires de ce qu’ils font et sur ce qu’ils projettent comme réformes seront démasqués, sont devenus des agents toxiques pour le ministère, qu’il faut irrémédiablement changer; non pas automatiquement par leurs seconds, mais par d’autres compétences, issues exclusivement du ministère, lauréats d’un concours portant sur des projets de réforme spécifique, qui seront jugés par des commissions constituées des gérontes du ministère qui composeront son sénat.

Il faut en finir avec le carriérisme, rien ne vaut la méritocratie. Les recalés devront impérativement être changés; ceux, d’entre eux, qui protestent peuvent ester au Tribunal administratif; l’Éducation ne peut plus accepter les complaisances qui se transforment inévitablement en compromissions.

Appel à l’intelligence collective

Dès l’annonce du déclenchement du projet de réforme du système éducatif, les idées vont fuser de partout vu l’importance du secteur et dans le quotidien des Tunisiens et dans l’imaginaire populaire; ce serait un saut salutaire si tout un chacun a intériorisé l’idée que ses dires n’ont rien de céleste, qu’elles sont sujettes à discussion. Comment canaliser la profusion des diagnostics et des remèdes pour qu’ils ne se transforment pas en une logorrhée collective sans lendemain ?

En premier lieu il faut désigner le chef d’orchestre du projet qui en étroite collaboration avec monsieur le ministre choisira sa garde rapprochée, laquelle désignera les équipes régionales qui devront être présidées par le plus ancien des inspecteurs pédagogiques ou des conseillers en orientation. Le commissaire régional il vaut mieux le décharger de cette tâche vu l’énormité des problèmes qu’il doit gérer au quotidien.

Ensuite il faut cadrer la demande institutionnelle : le diagnostic doit être fait en amont par les services compétents au ministère qui détiennent tous les chiffres, un diagnostic sans chiffres n’est que des impressions fallacieuses. En aval le ministère accueillera les condensés des propositions établies à l’échelle régionale qui seront elles-mêmes fruit de travaux menés au niveau local.

Dans ce genre d’exercice, rien ne vaut l’appel à l’intelligence collective. Les différents métiers au ministère devront être impliqués dans la recherche de solutions aux maux du département dont ils sont parfois, d’une façon ou d’une autre responsables; ici, il faut éviter les euphémismes, il y va de la survie du secteur. Le ministère de l’Éducation est une machinerie lourde avec beaucoup de disques engrenés les uns aux autres ce sont les différents métiers le composant, s’il y a grippage entre deux disques ou plus toute la machine marche à la traine comme c’est le cas maintenant. Il y a urgence, il faut mettre la machine en marche à une vitesse qui frôle la vitesse de croisière.

La participation collective organisée ne peut se faire que via les syndicats. Cependant, d’emblée, ils devront comprendre que ce n’est pas une occasion pour rallonger une liste de demandes syndicale, mais l’occasion de participer à un devoir citoyen; il y a urgence, le bateau avarié commence à couler comment le réparer profondément pour le remettre à flot. Ceux qui campent sur une position revendicative ; on doit leur dire que ce n’est pas l’occasion de le faire ; s’ils y persistent, qu’ils subissent ce que les autres ont décidé pour eux.

L’élaboration du projet final ne doit pas dépasser janvier 2021, devenu projet de loi, il passera entre les mains de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). En septembre 2021, il entrera en fonction.

Le salut est à l’extérieur du système éducatif

Une observation est à prendre en considération. Le meilleur des systèmes éducatifs conçu par les meilleurs esprits que l’humanité ait engendrés ne donne rien sans que les concernés, en l’occurrence, les élèves ne se sentent impliqués dans un système qui leur donne l’occasion de réussir et dans leur scolarité et dans la vie, s’ils ne seront pas motivés pour réussir.

Justement, les moteurs de motivation viennent de l’extérieur du système éducatif : des réflexes sociétaux qui glorifient l’effort, l’abnégation et la réussite ou les dénigrent comme c’est le cas maintenant ? Le système éducatif joue-t-il encore son rôle d’ascenseur social ? Les moyens mis à sa disposition sont-ils adéquats ? Les Palestiniens dans les camps de réfugiés, sous les tentes, ont su sous un input dérisoire produire un output de valeur. Les maîtres-mots sont, donc, volonté, abnégation et défi au sort, s’ils ne sont pas partagés par nos chers apprenants rien ne se produira même avec le meilleur système éducatif au monde.

Monsieur le ministre aura deux chefs dans le même gouvernement; le chef de gouvernement et son collègue le chef de son parti; qui choisira-t-il si un conflit fâcheux se déclenche entre ces deux chefs ? Mon conseil est qu’il choisit son chef de parti, parce que s’il reste, seul, au gouvernement sous le prétexte d’accomplir un devoir national, il se trompe. Il sera minoré en ministre déplumé et sans envergure, son projet sera profondément dénaturé, il n’aura qu’une victoire à la Pyrrhus. Le parti Attayar, jusqu’à maintenant, est une porte de salut, il faut qu’il le reste pour le bien du pays.

P. S.
Parachevant la rédaction de mon article, j’ai eu connaissance du contenu du document contractuel de référence signé, le 24 février 2020, par les partis représentés au gouvernement d’Elyes Fakhfakh, qui stipule, en deuxième position à la tête de la hiérarchie des projets du gouvernement, la réforme du système éducatif et de l’enseignement public, excellente orientation, je ne puisse qu’acquiescer, vivat mesdames et messieurs. Toujours est-il qu’il vaut mieux être aux aguets, il faut beaucoup de patriotisme de la part de ses composantes pour que le Gouvernement résiste aux vents et marais.

* Directeur du site Ibn Khaldoun

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