Youssef Chahed quitte la présidence du gouvernement après 3 ans et demi de loyaux services. C’est un événement normal en démocratie dont la pierre angulaire est l’alternance au pouvoir.
Par Abdelmajid Mselmi *
Ce n’est pas un hasard que le président de Tahya Tounes a pu se maintenir aussi longtemps dans un système parlementaire où les gouvernements «survivent», généralement et très difficilement, un an ou deux. Il s’est maintenu malgré la coalition fragile constituée avec Ennahdha et les défis colossaux auxquels la Tunisie était confrontée. Il s’est montré solide, fort, et fin tacticien. Il a pu résister aux obstacles et s’est montré capable de déjouer les pires conspirations. Finalement, il a réussi à ramener la barque à bon port malgré les tempêtes.
Youssef Chahed et son parti, Tahya Tounes, n’ont certes pas remporté les élections, mais ils sont encore au pouvoir, représentés par 2 ministres, dont le numéro 2 du parti, Selim Azzabi, dans le gouvernement Elyes Fakhfakh, dont le nom – faut-il le rappeler ? – a été proposé par eux au président de la république Kaïs Saïed. Youssef Chahed compte, également, beaucoup d’amis au nouveau gouvernement dont il était, par ailleurs, l’un des architectes. Et il n’y a nul de rupture entre les 2 gouvernements. L’alternance se fait dans la continuité.
Le terrorisme écrasé et vaincu
Le plus grand exploit du gouvernement de Youssef Chahed est certainement la lutte victorieuse contre le terrorisme. Rappelons que le jour de la passation avec son prédécesseur Habib Essid, le 29 août 2016, 3 soldats étaient tués suite à l’explosion de mines anti-char à Jebel Sammama à Kasserine. C’est comme si c’était voulu par les groupes terroristes déployés dans cette région montagneuse frontalière avec l’Algérie afin d’intimider et de déstabiliser le jeune chef de gouvernement.
En réalité, durant les années 2015, 2016 et 2017, les opérations terroristes ne se sont pas arrêtées non seulement dans les montagnes mais aussi dans les villes. Le 8 mars 2015, des hordes terroristes ont tenté de prendre la ville de Ben Guerdane pour y instaurer un émirat daechien à l’instar de ce qui s’est passé à Rakka et Mossoul. Cette ville frontalière avec la Libye est devenue leur cimetière.
Youssef Chahed et son gouvernement ont eu le courage de revoir le budget de l’Etat pour donner la priorité absolu à la lutte contre le terrorisme car sans sécurité, le pays allait tomber dans le chaos. Ainsi malgré les contraintes budgétaires que l’on connaît, une enveloppe de 6000 millions de dinars tunisiens (MDT) a été destinée aux forces armée et de sécurité. Du jamais vu dans l’histoire des finances tunisiennes! Le jeu en valait la chandelle. Cette redistribution budgétaire a été faite aux dépens des services de santé, de l’éducation et d’autres priorités nationales. C’étaient des sacrifices nécessaires pour arriver à bout du fléau du terrorisme qui déstabilisait le pays et empêchait sa reprise économique.
La mafia mise en hors d’état de nuire
On peut considérer que la lutte contre la corruption était le plus grand défi durant le mandat de Youssef Chahed. Mettre sous les verrous un «caïd» mafieux (Chafik Jarraya, Ndlr) – qui, rappelons-le, s’est cru un moment au-dessus de la loi – est un acte de courage et de bravoure extraordinaire.
Un autre mafieux (Slim Riahi, Ndlr), qui a cru «acheter» tout le monde avec son argent coulant à flot et dont personne ne sait l’origine, est en fuite. Il a écopé de 11 ans de prison. Bon débarras !
D’autres soutiens politiques et financiers des lobbys mafieux sont soit en fuite soit faisant l’objet de poursuites judiciaires. C’est certainement insuffisant, mais ces coups de pied dans la fourmilière des «caïds» ont un pouvoir dissuasif sur la mafia dans toutes ses formes.
En plus de la mise hors d’état de nuire de certains mafieux, le gouvernement Chahed a élaboré un arsenal de lois, une véritable arme de dissuasion contre la corruption : la création et le renforcement du pôle judiciaire spécialisé dans les affaires de corruption, les lois créant l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), protégeant les dénonciateurs des affaires de corruption, instaurant l’obligation de la déclaration des biens, créant le registre national des entreprises (RNE) et, last but not least, récompensant ceux qui dénoncent des affaires de corruption. Résultat : notre pays a été enlevé de la liste noire des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, établie par le Groupe d’analyse financière (Gafi), relevant des Nations unies.
Un bilan socio-économique honorable
Le respect des droits de l’homme constitue un critère de jugement de tout gouvernement. Les atteintes aux droits de l’homme n’ont certes pas complètement disparu mais elles ne sont plus une politique d’Etat comme c’était le cas sous l’ancien régime.
La promulgation de la loi contre le racisme et de celle contre la violence à l’encontre de la femme est une avancée importante de cette 2e république. Et au dernier jour de son mandat, le gouvernement Chahed a promulgué le décret portant création de l’Observatoire national de la violence à l’encontre des femmes.
L’organisation des élections municipales libres et démocratiques en mai 2018 était un moment fort sur la voie de l’instauration du pouvoir local. Rappelons que 100 nouvelles municipalités ont été créées permettant ainsi d’encadrer toute la population tunisienne par les services municipaux, alors qu’avant 2011, 2 millions de Tunisiens ne profitaient pas des services municipaux.
Le plus grand mérite du gouvernement Chahed reste, cependant, la maîtrise du déficit budgétaire qui était de l’ordre de 7% en 2016. Actuellement, ce déficit est tombé à moins 4% et se rapproche de la norme de 3% en vigueur dans l’Union européenne. Le spectre de la faillite est, par conséquent, derrière nous.
Cela n’a pas été facile car il a fallu une politique d’austérité avec ses conséquences néfastes sur l’inflation et le pouvoir d’achat. Mais force est de constater que les indicateurs économiques sont actuellement meilleurs qu’en 2016 avec une monnaie nationale, le dinar, qui se défend mieux, un taux d’endettement encore acceptable et une inflation en net recul.
L’engagement du pays sur la voie de la production des énergies renouvelables est, sur le plan économique, l’un des principaux acquis du l’équipe de Chahed, qui a dû faire face à l’aggravation du déficit énergétique. Il était temps. Mais, parallèlement, le gouvernement a continué à développer la production des énergies classiques et la mise en marche, au début de ce mois, du champ de Nawara, constitue un acquis énorme pour les Tunisiens et l’avenir le prouvera.
Malgré les pressions budgétaires, les travailleurs dans les secteurs public et privé ont bénéficié d’augmentations salariales conséquentes, avec des augmentations spécifiques honorables au profit des médecins, des enseignants universitaires et des ingénieurs.
La réforme de la retraite réalisée par le gouvernement Chahed, avec l’augmentation de l’âge de la retraite et du taux de cotisation, est une des plus importantes avancées sur le plan social depuis 30 ans. Cette réforme aidera, à moyen terme, à sauver les caisses sociales d’une faillite annoncée.
La couverture sociale des ouvrières agricoles par le système «Ahmini» et la promulgation de la loi sur de la protection sociale des couches les plus démunies sont des acquis sociaux historiques.
Pour une Tunisie plus forte
L’objectif de tout engagement politique n’est pas un siège au parlement ou un poste au gouvernement. On peut servir sa patrie et son peuple quelle que soit notre position. Les partis politiques constituent les piliers de la démocratie et il faut œuvrer pour les renforcer.
Le jeune parti Tahya Tounes constitue un projet prometteur qui gagne à évoluer et à se développer dans son milieu naturel qui est la famille progressiste et moderniste. Il peut être un levier ou une étape pour rassembler les démocrates en perspective des élections régionales de 2022 et des élections présidentielles et législatives de 2024.
Fort de son expérience politique et gouvernementale, Youssef Chahed peut jouer un rôle important dans ces deux dynamiques conjuguées.
* Dirigeant à Tahia Tounes.
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