Malgré la mobilisation générale, le virus meurtrier continue à se répandre en silence derrière une nébuleuse de préjugés, de dénis de la réalité, de fantasmes et de rumeurs propagés à travers les réseaux sociaux par des charlatans, des paranoïaques et des conspirationnistes jouant sur les angoisses et les peurs.
Par Hassen Zenati
Le coronavirus ? Quel coronavirus ? Ah ! Le coronavirus : c’est une histoire à dormir debout inventée par les «gogos» pour nous interdire de marcher. C’est la réponse hallucinante d’un jeune marcheur algérien du mouvement de contestation politique du «hirak», qui a pris l’habitude depuis plus d’un an de battre le pavé les mardi et vendredi pour réclamer «le départ du système».
Malgré les mises en garde des médecins et les appels de diverses autorités politiques et religieuses à suspendre ces sorties collectives jusqu’à la fin de la crise sanitaire qui ébranle le monde, il se dit «déterminé» à continuer de manifester, sans croire un instant au danger qui le guette, croyant sans doute en être prémuni.
Mardi, après plusieurs altercations avec certains de ses camarades qui voulaient le dissuader de marcher, il s’est finalement résigné à renoncer à son équipée à la tête d’une bande d’une trentaine de jeunes de son âge, replié ses banderoles et quitté la place des Martyrs, devenue le centre de ralliement de leurs manifestations hebdomadaires. L’écume aux lèvres, il vociférait contre ceux qu’il qualifie de «chiens de garde» du pouvoir. L’idée que la pandémie n’a rien de politique et qu’il faut la combattre sans tarder, ne lui a jamais traversé l’esprit.
Les idiots inutiles et nuisibles
En Tunisie, au Maroc et en Algérie, dans plusieurs quartiers, villes et villages, les zélés de la piété affichée – les mêmes qui se teignent la barbe broussailleuse au henné et se marquent le front d’une laide zébiba calleuse – ont décidé de continuer à tenir leurs prières de groupe autour des mosquées, à même la rue. Avec un résultat certain, la transmission du virus par projection des gouttelettes d’un fidèle à l’autre à la vitesse de l’éclair. S’estimant protégés par la volonté divine, ils ont décidé, sans prendre la mesure du danger, d’ignorer les injonctions des plus hautes autorités religieuses de suspendre les prières collectives et de fermer les lieux de culte le temps du virus, en s’appuyant sur la théologie de la «force majeure», reconnue par tous les oulémas sunnites et chiites.
À Rabat, le salafiste Abou Naïm est monté à l’assaut de la décision du Conseil supérieur des oulémas de fermer les mosquées afin d’aider à briser la chaîne de transmission du virus, la qualifiant de «scandaleuse» et «d’illégale du point de vue de la charia», parce que, selon lui, «les conditions de son application ne sont pas remplies». Allant plus loin dans la surenchère (et la bêtise), sans craindre de jeter le trouble dans une population vivant dans l’angoisse de ce qui pourrait advenir, il a opéré une escalade en décrétant, sur la foi de textes théologiques, qu’il serait seul à connaître, et dont il semble détenir seul les secrets ésotériques, que le Maroc se classe désormais dans la catégorie des «pays de guerre» ouverts au jihad, selon la distinction classique islamique. Un appel on ne peut plus clair à la guerre civile par temps de pandémie !
Donald Trump rattrapé par son «canular»
Pour le président des Etats-Unis, Donald Trump, avant que son Conseil scientifique ne le tire de son ignorance, et que la réalité des contaminés américains ne s’impose à la Maison Blanche, le coronavirus n’était qu’un «canular». Il n’en parlait qu’en lui accolant l’épithète «chinois» pour mieux souligner qu’il s’agit d’un virus étranger, comme tous ces Latino-américains à qui il veut interdire de franchir la frontière en quête d’une vie plus digne.
Les allusions répétitives de Donald Trump à la Chine ont provoqué une réplique sèche des autorités chinoises, qui peut se résumer comme suit : le patient zéro du virus se trouverait aux Etats-Unis. Le coronavirus serait parvenu à la province de Wuhan par l’intermédiaire d’un militaire américain qui participait à une compétition sportive internationale, avant de se répandre dans le pays, a expliqué un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Il s’appuyait sur une vidéo du directeur des Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), déclarant devant le Congrès, que certains Américains que l’on croyait morts de la grippe saisonnière en septembre dernier, avaient été trouvés porteurs après leur décès du nouveau coronavirus, qui se baladait en Amérique avant d’être découvert à Wuhan. CQFD.
La «théorie du complot» dopée par le coronavirus
Du coup, Beijing a abandonné la première version de l’apparition du virus sur un marché de Wuhan, émise par Zhong Nanshan, le spécialiste chinois des maladies respiratoires. «Il est possible que ce soit l’armée américaine qui ait apporté l’épidémie à Wuhan. Les États-Unis doivent être transparents ! Ils doivent publier leurs données ! Ils nous doivent une explication», a surenchéri le porte-parole chinois.
Mais en insistant sur la responsabilité exclusive de la Chine, Ronald Trump, tout à la préparation de son second mandat présidentiel, a participé peut-être sans s’en rendre compte à la «théorie du complot» que des paranoïaques et des conspirationnistes de tous bords, ont déversé sur les réseaux sociaux dès que le virus a montré le bout de son nez dans la province de Wuhan, en Chine.
Toutes les théories du complot se ressemblent. Elles cherchent à adosser à des faits avérés des explications à cause unique, en discréditant les explications officielles, pour des raisons politiques, et les explications scientifiques pour des raisons religieuses. Le conspirateur, qui se barricade derrière ses certitudes pour soustraire ses élucubrations à toute réfutation, cherche ainsi à conserver un pouvoir politique, économique ou religieux sur ses ouailles, en s’opposant frontalement à la réalité, fut-elle aveuglante.
En l’occurrence, la rumeur toxique, qui continue à courir sur les réseaux sociaux, stipule que le coronavirus est une création de l’homme et volontairement propagé par celui-ci. Tout comme le virus du sida qui, selon les mêmes fumeuses théories, n’aurait été qu’un fléau divin frappant les déviants, en particulier les homosexuels, pour les remettre sur le bon chemin. De même que l’attentat qui avait détruit les tours jumelles de New York, les Twins, n’aurait été que le résultat d’une perfide conspiration née à l’intérieur du Pentagone, selon un livre qui a eu son heure de «gloire» avant de sombrer dans l’oubli, ‘‘L’effroyable imposture’’ de Thierry Meyssan, expert autoproclamé des droits de l’homme, alors président du réseau Voltaire, un think tank promoteur d’une rhétorique tout ce qu’il y a de plus laïc.
Vaines querelles d’un autre âge que les réseaux sociaux, plateformes de toutes les manipulations politiques, économiques, sociales et religieuses, ne font qu’attiser en jouant les angoisses et les peurs.
Les villes lumière se sont transformées en cités fantômes
Entre-temps, le virus continue à ramper vers ses proies. Au dernier comptage, il est présent dans 159 pays, a fait plus de 9.000 morts dans le monde et contaminé plus de 242.000 personnes testées positives. Malgré son recul en Chine, il reste inquiétant.
L’épicentre de la pandémie, à laquelle aucun pays n’était préparé, s’est déplacé en Europe, dont les villes lumière se sont transformées brutalement en cités fantômes sous l’effet d’un confinement presque généralisé, l’Italie en tête, suivie de l’Espagne et de la France.
Mais l’Afrique, dont les chiffres modestes de contaminés (500) connus cachent probablement un iceberg immergé qui reste à découvrir, et l’Inde sont des bombes à retardement de cette effroyable pandémie qui devrait rejoindre dans les annales les choléras du Moyen âge et la grippe espagnole du début du XXe siècle.
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