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Algérie : le ménage a commencé au sein de l’armée

La chute du général Wassini Bouazza annonce d’autres…

Quatre mois après son installation au palais d’El Mouradia, le président Abdelmadjid Tebboune a ordonné le premier coup de balai dans le vaste ménage qui se prépare au sein de l’armée, avec l’appui du chef d’état-major Saïd Chengrih.

Par Hassen Zenati

Cela s’est passé en deux temps, trois mouvements, dans une totale discrétion et sans le moindre remous, dans la pure tradition de la Grande Muette algérienne. Les sources officielles étant avares sur un sujet aussi sensible que l’armée, les informations sur l’affaire, qui vient de secouer le renseignement militaire, ont été divulguées par des sites indépendants réputés au fait des dossiers de l’armée: ‘‘Algérie-patriotique’’ et ‘‘Algérie Part’’, qui ont été relayés par le quotidien national ‘‘El Watan’’, référence de la presse écrite.

Le sort du général Wassini Bouazza est scellé

Directeur général de la sécurité intérieure (DGSI – contre-espionnage) depuis un peu plus d’un an, le général Wassini Bouazza s’est vu nommer sans préavis, il y a quelques jours, à travers une procédure inédite, un adjoint, le général Abdelghani Rachedi, pour le seconder à la tête de cette direction sensible de l’armée.

Le communiqué de la présidence, daté de mercredi 8 avril 2020, annonçant cette nomination surprise, précisait que le nouveau promu a reçu «de larges prérogatives». Autrement dit, il ne serait pas simplement le second de son supérieur hiérarchique, le général Wassini Bouazza, mais un premier-bis.

Et avant même que l’information n’ait été rendue publique, le général Abdelghani Rachedi était installé dans ses nouvelles fonctions, mardi 7 avril, par le chef d’état-major, le général-major Saïd Chengriha, à la demande du chef de l’Etat, qui est aussi chef suprême des Forces armées et ministre de la Défense nationale en exercice. Il n’aura attendu qu’à peine cinq jours, avant de se voir confier le plein exercice du poste de DGSI. Fait exceptionnel dans les annales militaires, la cérémonie d’installation a été reprise par la télévision publique. Elle a eu lieu sans la présence du titulaire – pour encore quelques jours – du poste.

Le général Abdelghani Rachedi avait notamment dirigé l’Institut des hautes études de sécurité nationale de Béni Messous, pépinière des officiers du renseignement algérien, et d’attaché militaire aux Emirats arabes unis (EAU), avec lesquels l’Algérie entretient un solide partenariat dans les industries militaires.

Pour les habitués du sérail algérien, la cascade d’événements rapprochés qui l’a porté au sommet du renseignement, à titre intérimaire pour l’instant, indiquait clairement que le sort du général Wassini Bouazza était scellé. Tôt ou tard, il serait appelé à céder son poste.

La prédiction n’a pas attendu longtemps pour être confirmée, lorsque moins d’une semaine après, on apprenait, lundi 13 avril, que son bureau au siège de la DGSI, à Ben Aknoun, sur les hauts d’Alger, avait été mis sous scellé. Quelques heures plus tard, il était interpellé à son domicile par la sécurité de l’armée pour être livré à la justice militaire de Blida. Placé sous mandat de dépôt, il doit désormais répondre des lourdes charges de «haute trahison, enrichissement illicite et trafic d’influence», selon ‘‘Algérie patriotique’’.

Réputé proche de l’ancien chef d’état-major, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, terrassé par une fulgurante crise cardiaque le 23 décembre, le général Wassini Bouazza a connu une ascension rapide à l’ombre de ce dernier. Considéré comme «l’homme fort» des services algériens, il disposait de pouvoirs étendus, équivalant, disent les mêmes sources, à ceux que détenaient le général de corps d’armée Mohammed Médiène, alias Tewfic, limogé en septembre 2015 par le président déchu Abdelaziz Bouteflika, après 25 ans à la tête des services secrets. Tewfic purge actuellement une peine de 15 ans de prison. Il était surnommé «Rab Dzaïr» (Dieu de l’Algérie) par la presse algérienne lorsqu’il était à l’apogée de son pouvoir.

Wassini Bouazza était en sursis depuis décembre 2019

Selon ‘‘El Watan’’, le général Wassini Bouazza «était sur la sellette depuis l’arrivée de Abdelmadjid Tebboune à El Mouradia et du général-major Saïd Chengriha à la tête de l’état-major de l’ANP. (…) Tout le monde sait qu’entre le président et le patron de la DGSI, les relations n’étaient pas reluisantes. Cela transparaissait à travers les décisions, contre-décisions, résistance et opposition parallèle, qui suscitaient de lourdes interrogations au sein de l’opinion publique».

Les divers sites algériens situent l’origine de cette inimitié à la tentative du général Wassini Bouazza, en décembre 2019, de faire adouber par l’armée un des quatre rivaux de Abdelmadjid Tebboune à l’élection présidentielle, Azzedine Mihoubi, pour qu’il succède à Abdelaziz Bouteflika, à l’issue du long intérim du président du Sénat Abdelkader Ben Salah. Sa manœuvre ayant échoué et Abdelmadjid Tebboune ayant été finalement élu, il était considéré depuis en sursis.

‘‘El Watan’’ fait discrètement allusion à cet épisode controversé, en indiquant que «depuis quelque temps, une enquête a été ouverte au niveau de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA) sur de nombreux dossiers liés à la gestion du général Wassini Bouazza, ses relais, ses intrusions dans le domaine politico-médiatique, etc.»

Dans son allocution d’installation du nouveau chef de la DGSI, lourdes de sous-entendus, le général-major Saïd Chengriha a ordonné aux cadres de ce service d’exécuter les ordres de leur nouveau supérieur «dans l’intérêt du service, conformément au règlement militaire et aux lois de la République», souligne un communiqué du ministère de la Défense.

Saïd Chengriha ou le parcours ordinaire d’un officier algérien

Natif d’El-Kantara, près de Biskra, Saïd Chengriha, 75 ans, est l’un des premiers bacheliers algériens à s’engager dans l’armée en 1963, un an après l’indépendance du pays. Il a fait ses classes d’officier à l’école de Saint-Cyr Coëtquidan en France, et à la prestigieuse académie militaire Vorochilov de Moscou. Il est également diplômé de l’Ecole de guerre.
Se tenant à l’écart de la politique, il a hérité du poste de Ahmed Gaïd Salah à la tête de l’état-major un peu plus d’une année après avoir été nommé en 2018, à la tête des forces terrestres, qui constituent la colonne vertébrale de l’armée algérienne. C’est le parcours ordinaire d’un officier général algérien avant d’atterrir à la tête de l’état-major.

Dix jours avant ce premier coup de balai, le 26 mars, le président Tebboune et son chef d’état-major avaient apposé leur première marque sur l’institution militaire, en nommant le plus jeune général-major de l’armée, Mohammed Kaïdi, 59 ans, ingénieur d’Etat en informatique et homme de terrain, très impliqué dans la lutte anti-terroriste, à la tête du «département emploi-préparation» de l’armée. Il s’agit d’un poste stratégique assurant la supervision, la coordination et la préparation de la totalité des forces armées terrestres, maritimes et aériennes, ainsi que la représentation de l’Armée Nationale Populaire (ANP) aux réunions internationales.

Il succède ainsi à deux prestigieux aînés : les généraux Liamine Zeroual – l’ancien locataire d’El Mouradia de 1994 à 1999, en pleine guerre contre le terrorisme islamiste –, et Mohammed Lamari, pourfendeur du terrorisme. Des observateurs algériens destinent Mohammed Kaïdi à de plus hautes fonctions au sein de l’ANP. Son ascension vient de commencer, selon eux.
Après la «liquidation» du général Wassini Bouazza, Algérie patriotique prédit la prochaine mise à l’écart de plusieurs autres généraux, qui seraient remplacés par de plus jeunes, issus des grandes écoles militaires. Les nouvelles promotions devraient acter un changement de générations à la tête de l’ANP, avec l’effacement progressif des chefs militaires issus de l’ALN) – dont Ahmed Gaïd Salah avait été l’un des dernier en activité. Elles mettraient fin ainsi à l’ère des «officiers politiques» au profit des «officiers professionnels» dans le cadre de la «professionnalisation» en cours d’achèvement de l’armée algérienne.

Ces changements au sein de l’armée avaient été précédés par un éditorial de la revue El Djeïch, considérée comme le porte-parole de la haute hiérarchie militaire, se félicitant de la «cohérence totale» entre le président de la République et l’armée.

«Depuis son élection, le président Abdelmadjid Tebboune a démontré sa totale confiance dans l’institution militaire en saluant à maintes reprises le rôle de l’ANP dans la préservation des institutions de l’Etat, ainsi que la sauvegarde du pays de toutes tentatives de déstabilisation (…). La cohérence totale entre le président et l’ANP et l’intérêt qu’accorde le premier magistrat du pays à la sécurité et à la défense nationales, s’inspire de sa totale conviction de la nécessité de moderniser nos Forces armées pour qu’elles puissent mener leurs missions constitutionnelles et atteindre une disponibilité permanente pour faire face à toutes menaces possibles et relever tous les défis sécuritaires afin que notre pays en sorte victorieux», écrit notamment la revue de l’ANP.

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