Près d’un milliard d’êtres humains en Afrique et en Asie sont guettés par la malnutrition et la faim à la sortie de la crise du coronavirus. L’alarme est sonnée.
Par Hassen Zenati
Les voyants sont au rouge : si l’on ne fait rien, la sortie de la crise sanitaire risque de s’accompagner d’une explosion de la faim dans le monde. Soit environ 500 millions de personnes de plus souffrant de sous-nutrition sur une planète, qui comptait déjà 820 millions de mal nourris (9% de la population mondiale) en 2019 avant la pandémie, dont 516 millions en Asie et plus de 220 millions en Afrique.
L’insécurité alimentaire aiguë pourrait terrasser à elle seule 265 millions de personnes, dont 130 millions du fait du Covid-19, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Son directeur-général David Beasley prédit une «pandémie de la faim» après celle du coronavirus. Il parle de «famines de proportions bibliques» et de «catastrophes humanitaires» qui se préparent. D’ores et déjà, nul n’ignore plus que l’objectif «Faim zéro», fixé par l’Onu pour l’éradication de la faim dans le monde à l’horizon 2030, ne sera pas atteint. Il sera probablement enterré.
Les dix pays les plus touchés par le fléau sont les pays en guerre comme le Yémen (15,9 millions de personnes exposées), la République démocratique du Congo (15,6 millions), l’Afghanistan (11,3 millions), le Sud-Soudan (7 millions), la Syrie (6,6 millions), et ceux qui subissent des crises politiques et sociales à répétition comme le Venezuela (9,3 millions exposées), l’Ethiopie (8 millions), le Soudan (5,9 millions), le nord-est du Nigeria (5 millions) et Haïti (3,7 millions).
Les populations fragiles brutalement privées de ressources
Dans d’autres pays aux économies désorganisées, les populations fragiles vivant au jour le jour du marché parallèle, se sont trouvées brutalement privées de ressources du fait de la mise à l’arrêt des principales activités et du confinement imposé par les autorités. Leurs maigres économies épuisées, elles risquent d’être rapidement happées par la faim, alors que l’accès aux marchés alimentaires devient de plus en plus difficile, que les prix flambent et que l’aide humanitaire internationale devient insuffisante.
De nombreuses ONG spécialisées dans la lutte contre la faim, dont Oxfam, ont appelé à la mobilisation internationale sous forme d’aides d’urgence pour empêcher des familles entières de sombrer, d’aides directes, de mesures de report ou d’effacement des dettes pour les états les plus démunis.
La facture pourrait grimper à 2.500 milliards de dollars, en incluant le soutien que les associations recommandent d’apporter aux laissés pour compte des politiques ultralibérales (le quart-monde) dans les pays riches. «Des gens vont mourir de faim avant de mourir du coronavirus», souligne la présidente d’Oxfam Cécile Duflot.
L’Afrique a besoin de 200 milliards de dollars d’aide
Très vulnérables, de nombreux pays en développement sont déjà surendettés. D’autres le deviendront avec la récession mondiale, selon le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres. En Afrique, le ratio moyen de la dette par rapport au PIB est passé de 39,5% en 2011 à 61,3% en 2019.
Selon le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union africaine (UA), l’Afrique comptait, samedi 25 avril, 29.488 cas confirmés de coronavirus. Le Covid-19 a coûté la vie à 1.343 personnes sur le continent qui compte 8.817 malades guéris. L’Afrique du Sud et l’Égypte restent les deux pays les plus touchés par la pandémie. Ils ont passé chacun la barre des 4.000 cas. Le Sénégal s’en sort mieux que ses voisins avec 7 morts et 614 cas d’infection. Mais, selon le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, les chiffres disponibles sont loin de la réalité, en l’absence d’un dépistage massif des populations.
Antonio Guterres a estimé à 200 milliards de dollars l’aide qu’il faudra consacrer à l’Afrique pour affronter la pandémie. «Des moments exceptionnels exigent une solidarité exceptionnelle. L’un des tests les plus importants de la solidarité mondiale est de se mobiliser avec l’Afrique pour une prospérité partagée du continent et du monde», a-t-il plaidé.
La Banque mondiale, le FMI et d’autres organismes financiers internationaux, tablent sur seulement 240 milliards de dollars au total pour lutter contre les effets de la pandémie et préserver l’économie mondiale du chaos. La Banque Mondiale n’affiche pas plus d’une cinquantaine de milliards de dollars mobilisés en faveur de 64 pays en voie de développement, selon son président David Malpass.
Une nouvelle hécatombe de la faim à l’horizon
Après voir enregistré un recul durant la dernière décennie, la faim dans le monde a recommencé à progresser depuis 2015, effaçant les progrès réalisés auparavant. Les conflits, les inégalités sociales et les changements climatiques sont les principaux facteurs de ce fléau, auxquels s’est ajoutée cette année la pandémie.
Peu avant de remettre son tablier à son successeur chinois Qu Dongyu, l’ancien directeur général de la FAO, le Brésilien José Graziano da Silva, avait tiré la sonnette d’alarme. «Deux milliards de personnes n’ont pas accès à des aliments sains et en quantité suffisante, a-t-il déploré. Je n’ai jamais vu ça et je suis ces dossiers depuis longtemps. Il y a entre 7 et 8 milliards de personnes dans le monde. Un quart à 30% de ces personnes ne sont pas assurées d’avoir assez d’argent pour se nourrir et nourrir leurs familles.»
La récession économique sans précédent qui se dessine à l’échelle mondiale risque de se traduire par une nouvelle hécatombe.
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