«It must be heaven» du cinéaste palestinien Elia Suleiman débarque dans les salles de cinéma tunisiennes qui ont récemment rouvert leurs portes après près de trois mois de fermeture suite à la pandémie du Covid-19.
Par Fawz Ben Ali
Rassuré par les nouvelles mesures d’hygiène et de distanciation sociale adoptées dans la lutte contre la propagation du virus, le public a recommencé à fréquenter les salles obscures qui risquent d’être l’unique distraction culturelle pour cet été face à l’annulation des festivals.
Un film ovni dans la planète du 7e art
L’événement le plus marquant de cette rentrée cinématographique post-confinement est certainement la sortie tunisienne de «It must be heaven», dernier film du grand cinéaste palestinien Elia Suleiman (Mention spéciale du jury au dernier Festival de Cannes).
Elia Suleiman que l’ont avait connu notamment avec «Intervention divine» (2002) et «Le temps qu’il reste» (2009) est à ce jour le réalisateur arabe le plus connu et consacré à l’échelle internationale après Youssef Chahine. Après dix longues années d’absence, il revient en force avec un beau film bien représentatif de son univers atypique.
A l’occasion de la sortie officielle de son film dans les salles tunisiennes, Elia Suleiman a aimablement accordé un moment de débat avec le public tunisien en vidéo-conférence à la soirée d’avant-première où était entre-autres présent le directeur de la photographie tunisien Sofian El Fani qui avait travaillé sur ce film.
Le film événement a également été projeté le soir du vendredi 3 juillet lors d’une séance spéciale gratuite et en plein-air à la cour de l’Institut français de Tunisie (IFT) dans le cadre du nouveau programme cinématographique estival «Cin’étoiles d’été».
«It must be heaven» est un ovni dans la planète du 7e art où Elia Suleiman fait le choix de jouer son propre rôle d’artiste palestinien exilé et nomade, préférant garder le silence tout au long du film. En effet, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il se passe grand-chose durant les 97 minutes que dure le film, qui ne manque toutefois pas de vivacité et de dynamisme fascinants.
Un voyage solitaire introspectif
Le cinéaste nous livre un récit personnel sur ses angoisses et ses questionnements : dépaysement, déracinement, aliénation… une réflexion subtile sur l’exil au sens large et sur la condition des réfugiés palestiniens en particulier.
«It must be heaven» est réalisé un peu à la manière d’un road-trip où Nazareth (ville natale du cinéaste) est le point de départ et de retour entre trois escales à Paris, à New-York et à Montréal, un voyage mené dans une approche d’introspection identitaire.
Elia Suleiman explore dans ce film de nouvelles possibilités cinématographiques et précisément scénaristiques, car, comme il n’y a pas concrètement d’histoire (en tout cas pas au sens classique du terme), le cinéaste préfère construire sa trame autour d’un long voyage solitaire où il revient sur sa vie et sur sa carrière de cinéaste déraciné à la recherche d’un chez-soi et croyant le retrouver en Europe ou en Amérique, d’où le titre du film «It must be heaven» (Cela devrait être le paradis), mais malgré sa volonté de se présenter comme un citoyen du monde, notre héros est constamment renvoyé à son identité face à des jugements pas toujours tendres, comme l’illustre par exemple la scène de l’aéroport où on le soupçonne de porter une bombe, seulement parce qu’il est arabe et qu’il aurait «le profil d’un potentiel terroriste».
Sur un ton comique et burlesque, Elia Suleiman nous invite à réfléchir sur la place de l’individu face à la mondialisation, sur la violence du monde contemporain, sur la cause palestinienne et sur le poids parfois lourd de l’identité … le tout dans un cadrage minutieux, une esthétique soignée et une mise en scène pittoresque.
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