Les dirigeants politiques dits démocrates et progressistes, qui se sont alliés avec les islamistes d’Ennahdha au cours des neuf dernières années, savaient pourtant tous à qui ils avaient affaire. Mais ils se sont tous laissé berner et piéger, sciemment, et firent perdre à la Tunisie et aux Tunisiens autant d’années marquées par l’immobilisme et déliquescence généralisée.
Par Chokri Fendri *
Lorsque Hamadi Jebali lors d’un meeting tenu le 13 novembre 2011 à Sousse en présence d’une militante du Hamas a parlé du sixième califat, Mustapha Ben Jaafar, alors président du parti Ettakatol et censé faire partie de la coalition formant le gouvernement post élection d’octobre connue depuis sous le nom «troïka», a émis des réserves sur cette déclaration/programme et marqué par là avec les membres de son parti une pause suscitant des doutes sur un éventuel retrait de la «troïka».
Puis, miraculeusement, le brouillard s’est dissipé comme si de rien n’était et M. Ben Jaafar et son parti se sont alliés avec Ennahdha et le CPR et ont signé par la même l’acte de leur fin politique…
Les signes avant-coureurs ne manquaient pas
Pourtant, des faits comme ceux qui ont succédé la projection du film ‘‘Persepolis’’ sur Nessma TV ou le film de Nadia El Fani ‘‘Laïcité Inchallah’’ à la salle Africa et, last but not least, la vidéo fuitée de Rached Ghannouchi discutant avec des salafistes, montrent à tous ceux qui croient à une certaine modération des islamistes tunisiens que l’islam politique est un et indivisible et qu’il puise ses dogmes de l’Organisation internationale des Frères musulmans.
Il n’est pas nécessaire ici d’énumérer tous les évènements (et ils sont nombreux) survenus pendant les années «troïka» mais arrêtons-nous devant deux faits.
Le premier concerne le deal secret passé pour l’extradition de l’ex-Premier ministre libyen Mahmoud Baghdadi et qui peut être classé comme le prolongement de l’activité secrète des islamistes. Dans le même chapitre (peut-être de moindre degré), des nominations dans le secteur des médias ont été annoncées un samedi après-midi, car, en ce début de leur pouvoir, les islamistes ne savent pas s’ils sont dans la clandestinité ou dans la légalité.
Le second événement c’est une intervention télévisée du ministre islamiste des Affaires religieuses (un salafiste pur et dur) suite aux événements survenus lors de l’exposition au palais El Abdellia, à la Marsa, qui s’était alors placé du côté des salafistes, laissant bouche-bée la journaliste qui l’interviewait. La liberté d’expression, fondement de la démocratie, n’a pas de place chez les islamistes. Pour eux, la démocratie, inventée par les Occidentaux mécréants, est juste un moyen pour s’emparer du pouvoir… et ne plus le céder
Béji Caïd Essebsi croyait pouvoir apprivoiser les vipères
Lorsque Si Béji Caïd Essebsi (BCE) a publié, au début de 2012, le premier communiqué annonçant son retour en politique et ouvrant ainsi la voie à la création du parti Nidaa Tounes, la majorité des Tunisiens ont poussé un grand ouf de soulagement.
Dans un laps de temps record, Nidaa Tounes, créé officiellement en juin 2012, a rassemblé un grand nombre d’adhérents et les élections de 2014 ont donné espoir aux Tunisiens qui aspirent à une Tunisie ouverte, modérée, tolérante et libérée des dogmes rétrogrades que les islamistes ont essayé d’imposer en invitant au pays, pendant les années «troïka», des fondamentalistes notoires (Wajdi Ghanim & Co.). D’ailleurs, BCE avec son sens de l’humour et en parlant des islamistes les a qualifiés par «ceux qui sont en train de chercher le sexe des anges»…
La mouture de la première équipe gouvernementale post élection 2014, conduite par Habib Essid, ne comporte aucun ministre issu d’Ennahdha, répondant ainsi aux aspirations des électeurs, surtout la gente féminine qui a voté en grand nombre pour BCE car elle craignait la mise en péril des acquis de la femme tunisienne, cible pendant des années des islamistes.
Mais hélas, comme pour le cas de M. Ben Jaafar, BCE a rectifié le tir en faveur des islamistes en introduisant un ministre et trois secrétaires d’Etat nahdaouis dans la seconde mouture du gouvernement Habib Essid. La fameuse rencontre de Paris, durant l’été 2013, entre Rached Ghannouchi et BCE était à l’origine de ce revirement : des promesses avaient alors été faites par BCE à celui avec qui il formera ensuite un tandem sous le slogan du «consensus»…
Les conséquences ne se sont pas fait attendre : une descente aux enfers de Nidaa Tounes que les Tunisiens avaient adopté pour, pensaient-ils, faire face aux islamistes, avant de le voir tomber dans le giron d’Ennahdha…
Pourtant, en grand homme politique traînant plus de 60 ans d’expérience (dès son retour à Tunis, en 1952, avec le diplôme d’avocat en poche, il prit la défense des militants tunisiens incarcérés et jugés suite aux événements du début de cette année-là) avec en prime une grande carrière sous le règne de Bourguiba, BCE savait mieux quiconque que la doctrine des islamistes est incompatible avec le modèle sociétal tunisien.
La seule explication qu’on peut avancer est que BCE a cru qu’il pouvait «apprivoiser» les islamistes mais c’était peine perdu, bien que lors du 10e congrès d’Ennahda, en mai 2016, une résolution mentionne que ce parti se consacrera dorénavant à l’action politique en laissant les activités religieuses aux organisations de la société civile, mais la réalité a montré que c’était du bluff, au contraire, ce message a été compris à l’inverse par les militants nahdaouis et leur action de propagande politico-religieuse s’est amplifiée depuis en créant des bureaux dans tous le recoins de notre chère Tunisie.
BCE a bien exprimé des regrets quand à sa relation avec Ennahdha, lors de sa dernière interview sur El Hiwar Ettounsi avec Myriam Belkadhi en septembre 2018. Mais le mal était fait…
Elyes Fakhfakh, la dernière victime en date des Nahdhaouis
Arrivons, enfin, au cas du chef de gouvernement démissionnaire, Elyes Fakhfakh, dont la 2e expérience avec les islamistes n’a duré que 4 mois (ancien d’Ettakatol, il avait été ministre du Tourisme puis des Finances dans le gouvernement de la «troïka»).
Ce qui ressort de cet épisode c’est que les islamistes et à leur tête Rached Ghannouchi savaient qu’il y a un des soupçons de conflit d’intérêts poursuivant M. Fakhfakh, mais ils lui ont voté la confiance à l’Assemblée, car ils craignaient la dissolution de celle-ci.
En gui se commentaire de l’affaire Fakhfakh, je me contenterai de reprendre ici cet extrait du livre du Professeur Amor Chadli ‘‘Bourguiba tel que je l’ai connu’’. A la page 522, l’auteur raconte sa visite au président Bourguiba juste après sa destitution, le 7 novembre 1987, par Ben Ali : «Je trouvais le Président debout au salon, droit comme un I, comme à son habitude, rasé de près et revêtu de son complet bleu marine, discutant avec son fils Bourguiba Jr. Je l’embrassai chaleureusement en lui disant : – C’est une trahison (khiana), monsieur le président. – Non ! c’est de la perfidie (ghader). Répondit-il.»
* Citoyen.
Donnez votre avis