Pour sauver le monde de la pandémie de la Covid-19, il a fallu sacrifier l’économie. Voilà la situation redoutable que les décideurs de tous les pays y compris la Tunisie ont à affronter. La crise engendrée par cette pandémie ne ressemble à aucune autre. Elle a commencé par un choc de l’offre – la production a chuté alors que les travailleurs restaient chez eux – et a été suivi d’un choc de la demande alors que les revenus diminuaient. Cela aura des conséquences dont l’ampleur n’est pas encore évaluée. Peut-on espérer des réformes profondes qui conduiraient à un nouvel ordre international plus inclusif, coopératif et stable ?
Par Ezzeddine Larbi *
La crise de Covid-19 soulève la question de savoir si la mondialisation a atteint son apogée. Les deux dernières décennies ont été impactées par deux chocs d’offre positifs à savoir la mondialisation et la technologie. Maintenant, la mondialisation va devenir dé-globalisation (protectionnisme et fragmentation) donc un choc négatif et la technologie ne sera plus la même : la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis et les guerres commerciales sont à l’origine de ces tendances. Et cette prédiction de la dé-globalisation est elle-même ancrée dans l’idée que les États-Unis et la Chine sont enfermés dans un piège de Thucydide, dans lequel les tensions géopolitiques entre une puissance dominante et montante vont submerger.
La rivalité stratégique sur la technologie 5G entre les États-Unis et la Chine confronte les pays à un choix entre les deux superpuissances : la 5G non chinois coûterait 50% plus cher. C’est l’âge de «Splinternet», internet fragmenté, qui peut entraîner la détérioration des régimes démocratiques, des marchés libres et ouvert et davantage de corruption.
La pandémie accélérera probablement la pression pour localiser les industries stratégiques telles que la production pharmaceutique, l’agro-industrie et la technologie.
Améliorer l’environnement commercial et poursuivre l’intégration régionale
Pour profiter de l’opportunité offerte par la délocalisation, les pays du Moyen-Orient et d’Afrique devraient à la fois améliorer leur environnement commercial et poursuivre l’intégration régionale. Ils doivent régionaliser leurs programmes de concurrence et de réglementation. Ils pourraient également envisager un régulateur numérique régional. Ce serait difficile politiquement mais cela en valait la peine. Les régulateurs régionaux ont les meilleures chances de libérer le plein potentiel des pays en développement.
La réponse numérique au travail à domicile résultant de la pandémie a été impressionnante dans les économies avancées, mais également dans les pays en développement. Pourtant, la mauvaise qualité d’Internet dans les pays en développement risque d’accentuer la fracture numérique.
Encore une fois, la pandémie a accéléré les tendances vers les petits détaillants vendant en ligne, l’apprentissage à distance, la vidéoconférence, le streaming vidéo et les jeux.
Qu’en est-il des perspectives de l’économie mondiale ?
La récession due à la pandémie du coronavirus sera suivie d’une reprise terne. Les marchés financiers voient manifestement un avenir beaucoup plus radieux. Comme mentionné, il y a une relance monétaire massive et une relance budgétaire massive dans les pays développés. Les gens s’attendent à ce que les nouvelles de la contagion s’améliorent et qu’il y ait un vaccin à un moment donné. Et il y a un élément «FOMO» [peur de rater]. Il y a des millions de nouveaux comptes en ligne – des chômeurs assis à la maison faisant du day-trading – et ils jouent essentiellement sur le marché sur la base du sentiment pur.
À mon avis, il y aura une correction significative une fois que les gens se rendront compte que la reprise sera en forme de U pour ne pas dire W ou L alors que les marchés financiers semblent envisager une reprise en forme de V.
La délocalisation ne ramènera pas réellement des emplois, mais accélérera seulement l’automatisation, tout en créant de nouveaux emplois. Le travail par les robots, l’automatisation, et l’intelligence artificielle entraîneront une augmentation de la productivité avec des bénéfices supérieurs.
Le marché, tel qu’il est actuellement ordonné, va rendre le capital plus fort et le travail plus faible. Donc, pour changer cela, il faut investir dans les employés. Donnez-leur une éducation, un filet de sécurité sociale – donc s’ils perdent leur emploi à cause d’un choc économique ou technologique, ils reçoivent gratuitement une formation professionnelle, des allocations chômage, des prestations sociales, des soins de santé. Sinon, les tendances du marché vont impliquer davantage d’inégalités de revenu et de richesse. Beaucoup peut être fait pour le rééquilibrer.
Le monde a besoin d’un leadership mondial afin d’étendre les ressources nécessaires aux pays qui en ont le plus besoin. Ce leadership doit venir des deux plus grands du monde – Chine et Etats-Unis. Les deux puissances doivent «prendre les devants» et assurer le leadership mondial à un moment où les pays les plus pauvres du monde sont en difficulté à cause de la pandémie.
Les élections présidentielles américaines de novembre pourront constituer le «tournant» lorsque les deux pays parviendront à un dialogue. J’espère que d’autres pays, les plus petites démocraties du monde, peuvent les pousser à se réunir dans une sorte de dialogue.
Ainsi, après des années très difficiles, voire de misère, nous espérons arriver à développer un ordre international plus inclusif, coopératif et stable. Toute fin heureuse suppose que nous trouvons un moyen de survivre aux temps difficiles à venir.
* Professeur agrégé de sciences économiques à l’Université de Tunis; consultant principal auprès de la Banque Mondiale (BM) et de la Banque africaine de développement (BAD).
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