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Algérie : Le président Tebboune en quête d’un nouveau modèle économique

Prise en étau entre le marteau de la chute drastique des prix du pétrole, sa quasi-unique recette d’exportation, et l’enclume de la pandémie du coronavirus, dans le contexte d’une lourde bureaucratie administrative, l’Algérie veut se libérer de sa dépendance des hydrocarbures pour adopter un nouveau modèle économique axé sur la production et l’économie de la connaissance, ouvert sur l’exportation.

Par Hassen Zenati

Economiste de formation, disposant d’une longue expérience dans la gestion locale en tant que préfet dans différentes régions d’Algérie, Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre et l’Habitat et du Commerce et éphémère Premier ministre sous le président déchu Abdelaziz Bouteflika, a remis sur le métier un projet de transformation de l’économie algérienne qui doit, selon ses auteurs, la libérer de la rente pétrolière et de sa dépendance des hydrocarbures pour l’engager dans un modèle fondé sur la production et l’économie de la connaissance, ouvert le plus largement possible sur l’exportation.

Rassurer les opérateurs publics et privés inquiétés par les procès pour corruption

Le chef de l’Etat a exposé les grands axes de cette réforme attendue depuis plusieurs années, qui s’étendra sur la décennie à venir, en ouvrant une conférence tripartite sur la «relance pour une économie nouvelle», rassemblant des représentants de l’Etat, les dirigeants du syndicat national des travailleurs et des opérateurs publics et privés. Il a indiqué que l’Etat pourrait consacrer 15 milliards de dollars, disponibles dans un premier temps, plus une «rallonge» de 12 milliards d’investissements au cours de deux premières années, pour engager cette transition indispensable, dont dépend à terme le redressement de l’économie algérienne.

Sur un plan politique, il s’est employé à rassurer les opérateurs publics et privés qui suivent depuis des mois avec inquiétude les procès pour «corruption, blanchiment d’argent et détournement de fonds publics», de plusieurs magnats de «l’oligarchie politico-financière» enrichis sous l’ère Bouteflika, ainsi que plusieurs anciens ministres et deux anciens Premiers ministres du président déchu en avril 2019. Ils sont tous en détention préventive à la prison centrale d’El Harrach, près d’Alger, en attendant la fin de leurs procès.

Rétablir la confiance perdue entre l’Etat et les opérateurs

Le président a sonné la «mobilisation générale pour sauver le pays». «Nous sommes tous du même côté de la barricade, personne n’est plus patriote que l’autre, nous devons sauver notre pays qui se trouve aujourd’hui à un tournant décisif», a-t-il martelé en assurant que «la volonté politique existe» et que les autorités sont disposées à «aller très loin dans l’aide des acteurs économiques sincères et patriotes». Il a promis de «dépénaliser» les actes de gestion, en confiant désormais aux tribunaux commerciaux d’éventuelles infractions économiques et d’accélérer la numérisation de tous les secteurs économiques et financiers pour éliminer «l’opacité qui y était sciemment entretenue» et rétablir ainsi la confiance perdue entre l’Etat et les opérateurs.

Le chef de l’Etat a en même temps laissé entendre que les marges de manœuvre sont étroites. «La situation financière de notre pays est certes difficile, mais pas mortelle. Nous avons des réserves de change de 57 milliards de dollars. Nous tablons sur des revenus pétroliers d’environ 24 milliards de dollars pour l’année 2020, une mauvaise année pétrolière, mais avec un pétrole qui se situe bon an mal an autour de 40 dollars, alors que notre budget est calculé sur un pétrole à 30 dollars, en plus des 27 milliards de dollars des revenus de l’agriculture, le pari est jouable», a dit le chef de l’Etat. Il a insisté à plusieurs reprises que «la situation est difficile, mais gérable», en rejetant les scénarios catastrophistes sur un effondrement prochain de l’économie de son pays.

Il a nouveau rejeté avec fermeté tout recours au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale, aux emprunts extérieurs «ou même à des pays amis», pour renflouer les caisses de l’Etat, qui ont vu les réserves en devises divisées par près de quatre depuis 2014.

La pandémie du coronavirus, dont le coût définitif n’est toujours pas connu, aura coûté très cher au pays, en arrêt de travail, aides aux plus affectés et dépenses de soins. L’euro, principale monnaie de transaction avec l’extérieur de l’Algérie, a enregistré mardi un nouveau record à la hausse à 152,29 dinars sur le marché interbancaire, en se situant à 192 dinars sur le marché parallèle, toléré. Le dollar s’échangeait pour sa part à 128 dinars.

Vers la renégociation des accords avec l’Union européenne

Le gouvernement algérien table désormais sur le doublement au moins des exportations hors hydrocarbures à la fin de l’année prochaine, à quelques 5 milliards de dollars, contre autour de 2 milliards de dollars, stables depuis des années. Il a engagé des discussions avec l’Union européenne pour renégocier l’accord d’association signé entre les deux parties en avril 2002, sous la présidence de Bouteflika. Considéré «inégal» et «déséquilibré» par Alger, il aurait coûté 16 milliards de dollars de manque à gagner fiscal à l’Algérie, selon une estimation des experts locaux.

Ali Bey Nasri, président de l’Association nationale des exportateurs algériens (Anexal) a réclamé dimanche «la remise à plat de cet accord élaboré et signé en 2002 dans un contexte politique difficile pour nous. Il a été conçu par l’Union européenne pour défendre ses intérêts, et proposé à l’Algérie qui l’a entériné». Depuis l’entrée en vigueur de cet accord, l’Algérie a importé pour un montant de 250 milliards de dollars de l’UE, alors qu’elle n’a exporté que pour 14 milliards de dollars vers les pays de l’UE, selon les mêmes experts. Pour Ali Bey Nasri, il faut que l’Algérie dépasse l’approche commerciale de son partenariat avec l’UE pour s’intégrer aux chaînes de valeur européennes, en améliorant sa compétitivité. «L’Europe doit avoir en l’Algérie un partenaire fort au sud de la Méditerranée», a-t-il dit, en appelant l’Etat à faire participer les opérateurs du secteur productif à toutes les phases des négociations avec l’Europe. «L’État ne doit plus parler tout seul», a-t-il lancé.

Vers l’ouverture du secteur bancaire à l’investissement privé

Le président Tebboune, a demandé par ailleurs aux opérateurs algériens à s’intéresser aux transports aérien et maritime, jusque-là fermés à l’investissement privé et annoncé l’ouverture du secteur bancaire à l’investissement privé. «Je ne vois aucune objection, aujourd’hui, à ce que des investisseurs privés créent des compagnies de transport aérien et maritime de marchandises et de voyageurs ainsi que des banques», a-t-il dit, soulignant que la fermeture du ciel et la mer aux compagnies privées nationales, a mis le transport maritime et aérien entre les mains et armateurs et des compagnies étrangères, ce qui a coûté à l’Algérie 12,5 milliards de dollars, dont 3,4 milliards de dollars pour les frais de transport maritime de marchandises, accentuant les transferts de devises.

Les opérateurs extérieurs algériens se sont vu reprocher d’être devenus des «champions de l’import-import» sous la présidence de Bouteflika et d’user de divers subterfuges, notamment la surfacturation de leurs cargaisons, pour accumuler des devises à l’étranger, au détriment de l’Etat. Lorsqu’il était ministre du Commerce, M. Tebboune avait vivement critiqué l’ouverture du marché algérien aux produits étrangers. «L’Algérie est devenue une poubelle pour les produits les plus insignifiants en provenance de l’étranger», s’était-il indigné.

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