Les islamistes tunisiens qui croient pouvoir dissuader leur guide suprême Rached Ghannouchi de briguer un énième mandat à la tête du mouvement Ennahdha se bercent d’illusions. Pire encore : leur démarche sonnera la fin de l’islam politique en Tunisie qui, de toute façon, ne survivra pas au cheikh.
Par Mohamed Sadok Lejri *
La guéguerre que se livrent les Nahdhaouis ne me concerne nullement, mais j’estime que les islamistes d’Ennahdha qui rechignent à voir Rached Ghannouchi modifier les règles internes du parti pour pouvoir briguer un troisième mandat consécutif de quatre ans à la présidence du plus grand parti islamiste du pays ont un peu perdu le sens des réalités. Au-delà de la nature des intérêts qui lient les Noureddine Bhiri, Imed Khémiri, Rafik Bouchleka, etc., au chef du parti, les arguments avancés par la garde prétorienne de Rached Ghannouchi sont loin d’être dénués de fondement.
Les signataires de la pétition contre Ghannouchi ont, durant les trois dernières décades, tellement parlé d’«alternance», de «démocratie» et de «liberté» qu’ils ont fini par y croire. Ils ont poussé l’audace jusqu’à songer à la succession de «Sidi Cheikh», alors que ce dernier est toujours vivant, comme s’ils appartenaient à une organisation politique… normale.
On n’élit pas démocratiquement un guide religieux, on lui prête serment d’allégeance
Les contestataires d’Ennahdha oublient que Rached Ghannouchi, avant d’être une éminente personnalité politique, est d’abord un guide religieux auquel on prête serment d’allégeance. C’est le Rouhollah Khomeiny tunisien ! C’est peut-être un Rouhollah Khomeiny sunnite qui a accédé au pouvoir sur le tard, toujours est-il qu’il est le seul leader historique islamiste encore en activité en Tunisie. J’irai même jusqu’à dire que Ghannouchi est le seul leader islamiste qu’aient connu les islamistes tunisiens.
C’est le «marjâ» (la référence absolue) qui possède la plus haute autorité dans l’islam politique tunisien. Le fait de vouloir le déloger avec quelques signatures me paraît davantage relever de l’illusion que d’une volonté politique lucide.
Il faut donc encourager les islamistes à s’accrocher à cette idée suicidaire car l’éviction de Ghannouchi de la présidence d’Ennahdha affaiblira considérablement l’islam politique en Tunisie, étant donné que plus aucun islamiste tunisien ne bénéficiera de l’aura dont jouit Ghannouchi et tous les ambitieux qui se considèrent comme ses héritiers naturels et légitimes (Ali Laârayeh, Abdellatif Mekki…) font pâle figure face à lui.
Après le départ de R’chouda, les Nahdhaouis auront du mal à trouver un successeur
D’aucuns n’hésiteront pas à recourir à la célèbre citation d’Alphonse Allais et me diront : «Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables.» Il n’en reste pas moins qu’après le départ de R’chouda, les Nahdhaouis auront du mal à trouver un successeur capable de fédérer les énergies islamo-conservatrices du pays et de remplir le vide qu’il laissera derrière lui. Et tant mieux pour le camp adverse ! Même si les Tunisiens laïques sont capables de courir seuls et de finir deuxième…
* Universitaire.
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