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Quand le président Saied écorche l’alchimie des valeurs qu’il incarne

La vidéo du mercredi 23 septembre 2020, diffusée par la présidence de la république, où l’on voit le président Kaïs Saïed critiquer ouvertement et vertement de récentes nominations de conseillers du chef de gouvernement Hichem Mechichi, est un premier coup porté à l’alchimie des valeurs qu’incarne le chef de l’Etat aux yeux de ses électeurs. Elle constitue une vraie gaffe et nécessite une subtile réparation politique, pour arrêter les dégâts.

Par : Mehdi Jendoubi *

Le président de la république Kaïs Saïed est un homme de science et de conviction, il est droit, honnête, courtois et modeste. Ceux qui le connaissent de près témoignent tous de ces valeurs, qu’il a su incarner durant sa campagne électorale atypique des présidentielles d’octobre 2019. Cela qui lui a valu cette confiance massive, d’un peuple inquiet par les bouleversements vécus depuis dix ans, et déçu par une succession de gouvernants bien élus mais inefficaces. Les Tunisiens restent, malgré leur inquiétude et leur déception, tellement assoiffés de valeurs porteuses d’avenir, et même les idées passent en second lieu, quand ils tombent en amour d’un chef sorti de leur rang pour lui accorder leur confiance.

Un CV politique vierge, mais l’image d’un homme droit

M. Saied a toujours proclamé qu’il n’avait pas de programme électoral, et pourtant il a obtenu l’adhésion que nous connaissons. Une subtile alchimie a permis aux Tunisiens de reconnaître qui était le plus digne de leur confiance; ce sont les valeurs incarnées par cet homme qui ont primé. C’est le vrai trésor de guerre de notre président. Quand d’autres concurrents mettaient dans la balance électorale leur militantisme et leurs sacrifices sous l’ancien régime, ou leurs compétences de responsables de haut niveau, ou leurs stratégies de communication élaborées par des boîtes spécialisées, M. Saied présentait un CV politique vierge, car ses premières prises de positions publiques d’expert en droit constitutionnel sont postérieures à la révolution. Ses valeurs, ont fait de lui un premier candidat au premier tour, un président triomphant au second tour et continuent à le sauver une année après son élection comme l’indiquent plusieurs sondages.

Un coup porté à l’alchimie des valeurs incarnées par le président

La vidéo du mercredi 23 septembre 2020, diffusée par la présidence de la république, où l’on voit le président critiquer ouvertement et vertement de récentes nominations de conseillers du chef de gouvernement, est un premier coup porté à cette alchimie des valeurs qu’incarne le président, elle constitue une vraie gaffe et nécessite une subtile réparation politique, pour arrêter les dégâts.

Monsieur le président a parlé de «nominations», sans citer les noms, mais le contexte était explicite, puisque seules trois personnes étaient concernées par ses propos, et donc montrées du doigt publiquement parce que facilement identifiables. Il a lancé des accusations collectives, ce qui constitue une première injustice, puisque la responsabilité en cas de faute est toujours individuelle et que nul ne peut être comptable de la faute d’un autre.

Le président parlé de personnes dont «la seule expertise est la fraude», cela est excessif car l’un d’eux est comme lui professeur universitaire spécialiste d’économie et auteur d’ouvrages scientifiques.

Monsieur le président a été encore une fois doublement injuste car il se permet en tant que juriste de juger de la valeur d’un économiste, ce qui pose problème sur le plan purement académique, et puis on aurait mieux apprécié de l’entendre les qualifier «d’experts et de fraudeurs». Ne pas aimer une personne n’autorise pas à lui nier toute valeur intrinsèque.

Manque d’équité, abus de pouvoir et violence symbolique

Monsieur le président dit ne pas avoir un jugement définitif, dix ans après la révolution, et accuse certaines parties d’«entraver la justice». Il se réfère au rapport de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation, présidée en 2011 par feu Abdelfattah Amor. Sur cette base, il déclare que ces personnes ont commis des «crimes contre le peuple», qu’ils ont «dilapidé des fonds publics» et se sont «appropriés frauduleusement des terrains».

Mes connaissances de droit sont nulles, mais elles me permettent de savoir que nul ne peut être accusé, publiquement et de manière quasi nominative, sur la base d’un rapport et d’informations obtenues en commission. Cela ouvrirait largement la porte à toute accusation irresponsable, disproportionnée et injuste.

Il est du droit du président de ne pas aimer les anciens responsables de l’ancien régime; il est de son droit de proposer une loi pour leur interdire tout «retour» à l’appareil d’Etat; il est de son droit de dénoncer politiquement le comportement des anciens responsables; mais il n’est pas de son droit comme tout citoyen de porter une accusation publique à des personnes montrées du doigt de manière quasi nominative, alors que la justice ne les a pas condamnées. C’est un manque d’équité, un abus de pouvoir et une violence symbolique relayée par vidéo.

Les valeurs constituent un système solidaire et fonctionnent dans l’harmonie et la complémentarité. Être honnête et droit ne dispense pas d’être équitable même avec ses ennemis, que dire avec ses administrés ?

Monsieur le président a commis une faute éthique et, en homme d’honneur, la seule réparation est de s’excuser modestement à des citoyens innocents, en attendant un procès équitable où il sera donné aux accusés le droit d’apporter la contradiction, et un jugement définitif. Cela le grandira, et l’alchimie des valeurs qui lui a donné notre confiance perdurera. Nous en avons tellement besoin.

* Universitaire (jendoubimehdi@yahoo.fr).

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