Lors de son passage à l’émission ‘‘Abdelli Showtime’’, sur Attessia TV, hier soir, jeudi 1er octobre 2020, l’ancien chef de gouvernement Elyes Fakhfakh a mis en cause Nabil Karoui, président de Qalb Tounes, les islamistes d’Ennahdha en pleine lune de miel avec ce dernier mais aussi Kamel Eltaïef, le chef d’entreprise de matériaux de construction et infatigable homme de réseaux. Qu’un ancien chef de gouvernement reconnaisse le poids d’Eltaïef est important et qu’il affirme avoir sous-estimé son poids et son influence est pour le moins troublant car cela nous montre que Fakhfakh était naïf ou mal informé ou les deux en même temps.
Par Imed Bahri
Elyes Fakhfakh a indiqué que la machine de l’affairiste Kamel Eltaïef a tourné à plein régime pour le faire tomber. C’est alors que l’animateur de l’émission Lotfi Abdelli l’arrête et lui dit que Kamel Eltaïef serait utilisé comme un épouvantail pour faire peur, mais Fakhfakh réplique en affirmant que le poids de Kamel Eltaïef est bel et bien réel et que lui-même avait sous-estimé le rôle de l’affairiste («Kont haqrou», a-t-il dit en dialecte tunisien). Il a poursuivi en disant que Kamel Eltaïef n’avait pas un poids parlementaire, peut-être deux ou trois députés, mais son poids réel se matérialise via d’autres leviers en l’occurrence les médias qu’il utilise pour fabriquer une opinion publique au service de ses agendas et desseins politiques, l’administration publique, le ministère de l’Intérieur et les instances indépendantes (M. Fakhfakh faisait-il allusion à Chawki Tabib que l’on dit proche d’Eltaïef et ami de son bras droit Noureddine Ben Ticha, l’ancien dirigeant de Nidaa Tounes et conseiller politique du président Béji Caïd Essebsi).
Les étranges aveux d’un ancien chef de gouvernement
C’est là un aveu de la part d’un homme qui a exercé les fonctions ministre (du Tourisme et des Finances, en 2012 et 2013) et celles de chef de gouvernement (en 2020) que l’influence et le pouvoir de l’homme de réseaux qui quitte rarement son bureau de la Somaco à La Soukra, où le tout Tunis affairiste et «politichien» défile, n’est pas un fantasme mais une réalité, contrairement à ce que veulent le faire croire certains de se proches qui minimisent son rôle pour lui éviter les feux de la critique. En avouant, par ailleurs qu’il avait longtemps sous-estimé le rôle d’Eltaïef, Elyes Fakhfakh reconnaît implicitement le poids réel de l’homme de l’ombre qui officie depuis quatre décennies et qui entre maintenant dans sa cinquième avec une nouvelle génération d’affairistes et d’activistes politiques.
À la longévité, exceptionnelle dans ce dur métier de lobbyiste, Kamel Eltaief ajoute une grande flexibilité (ou cynisme) politique qui lui permet d’être proche des personnalités issues de toutes les familles politiques et syndicale (de Hamma Hammami à Noureddine Bhiri en passant par Néjib Chebbi, Beji Caïd Essebsi, Sami Tahri et Abdelkarim Zbidi) et d’avoir auprès d’eux l’écoute et la bonne disposition dont il a besoin pour pousser ses pions sur l’échiquier politique tunisien.
Cependant, les confessions de M. Fakhfakh posent une question : comment un homme ayant été ministre puis chef de gouvernement, poste le plus important de la république en termes de prérogatives, pouvait-il ne pas connaître le poids et le rôle de Kamel Eltaïef et comment pouvait-il aussi ignorer que le ministère de l’Intérieur était (et est peut-être encore) le centre névralgique de l’influence de l’homme de réseaux, qu’est Kamel Eltaief ? Ce ministère est connu pour être sa chasse gardée et les gens bien informés savent pertinemment que la guerre livrée par Kamel Eltaïef et ses réseaux à Youssef Chahed venait du fait que ce dernier a osé débarquer Lotfi Brahem du poste de ministre de l’Intérieur en 2018, ce dernier étant l’homme qu’il destinait à la primature et, peut-être aussi, dans une seconde étape, à la présidence de la république.
L’homme qui murmure dans l’oreille des «politichiens»
Rappelons que le natif de Hammam Sousse dans le Sahel tunisien en 1955 et installé à Tunis depuis 1973 joue un rôle aussi discret qu’important d’homme d’influence depuis le début des années 1980, cela veut dire qu’il a achevé quatre décennies de lobbying et entre dans sa cinquième. Quelle longévité!
Ami de Mezri Chekir, alors conseiller du Premier ministre Mohamed Mzali, il fait la connaissance de Zine El-Abidine Ben Ali en 1978 par l’intermédiaire du général Abdelhamid Echeikh. En 1983, il quitte l’entreprise de travaux publics fondée par son père Youssef et lance avec son frère Raouf une entreprise de matériaux de construction, la Smaco. Le fils cadet de Youssef Eltaïef jouera un rôle crucial dans la déposition de Bourguiba le 7 novembre 1987, d’ailleurs avec son ami Habib Ammar, alors directeur général de la Garde nationale, les deux seuls survivants de l’aventure «novembriste».
Tombé en disgrâce en 1992 avec le mariage de l’ancien président Ben Ali avec Leïla Trabelsi, mariage auquel il s’était ouvertement opposé (une erreur de jeunesse, sans doute), sans pour autant disparaître de la circulation mais ce n’est qu’en 2011 que l’hyperactif de l’ombre retrouvera une seconde jeunesse et une classe politique sans foi ni loi, servile et prête pour l’emploi. Autant dire à sa mesure…
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