Dans la Rome antique, les parlementaires avaient trouvé dans les jeux du cirque une façon intelligente de divertir la plèbe, de la désintéresser de la vie publique et de l’éloigner des enjeux dangereux de la politique. Leurs homologues dans la Tunisie d’aujourd’hui s’offrent eux mêmes en un spectacle décevant. On n’est jamais mieux servi que par soi-même…
Par Mohsen Redissi *
‘‘L’Ecole des fans’’ ou ‘‘L’Ecole des femmes’’. L’une est une émission de télévision pour les graines de stars animée pendant plusieurs années par Jacques Martin, l’autre une pièce de théâtre en vers par Molière. Avec Jean-Baptiste Poquelin, il y a l’embarras du choix : ‘‘L’École des maris’’, ‘‘L’École des femmes’’, ‘‘La Critique de l’École des femmes’’… La trame centrale de toutes ces pièces tourne à la dérision des thèmes comme l’éducation, la tromperie et le cocuage. Envers et contre tous avec la peur au ventre le choix s’est vite porté sur l’école des… gladiateurs. Hommes libres, braves, hommes de poigne, craints et respectés par tous, ils côtoient la mort à chaque apparition. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas quand la raison est d’éviter d’être poursuivi pour diffamation.
Nous sommes-nous trompés ? Avons-nous été trompés ? Sommes-nous des cocus ? À toutes ces questions, il n’y a aucune réponse. Je ne suis pas un devin. L’hémicycle du Bardo est notre oracle.
L’art de se donner en spectacle
Maximus!… Maximus!… Maximus! La foule en délire scandait à gorge déployée le nom de la légende vivante de ces arènes. Il est passé maître dans l’art et la manière d’entretenir le suspens et de tenir le public en haleine avant de donner le coup de grâce à la fin d’un spectacle haletant.
La Rome antique et la Tunisie d’aujourd’hui se disputent la paternité et l’honneur d’avoir inventé les jeux du cirque. Chacun a la ferme conviction des bienfaits de cette distraction et exprime son désir et son intention d’inscrire les jeux sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Un premier essai réussi avec le couscous. Bis repetita.
Les tribuns de la Rome antique avaient trouvé dans les jeux du cirque une façon intelligente de divertir la plèbe, de la désintéresser de la vie publique et de l’éloigner des enjeux dangereux de la politique. Les jeux, la boisson, les femmes faciles et les paris vidaient les poches et égaraient les esprits loin des marches du Sénat d’une partie de la population. Les parlementaires tunisiens jaloux de leurs confrères s’offrent eux mêmes en un spectacle décevant. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Dommage !
Les jeux de guerre
Les gladiateurs sont des hommes d’honneur élevés à la dure. Ils évitent de se faire mal gratuitement ou de porter des coups bas. Peu de combats finissent dans le sang. Les riches marchands propriétaires des écoles pour gladiateurs tiennent à ces combattants comme aux prunelles de leurs yeux.
L’amour des Romains de voir des hommes et des femmes se battre pousse les empereurs à faire construire des colisées chaque fois plus imposants. Les écoles de formation s’implantent aux alentours des forums sur tous les territoires sous contrôle romain. La passation du savoir-faire et l’art de combattre se transmet du gladiateur affranchi à l’apprenti.
Jeux de mains jeux de vilains
Cruel et impitoyable est le monde des gladiateurs, mais leurs duels répondent à des rituels et des règles bien établis, leur violation peut leur coûter la vie.
La perspicacité des tribuns fait défaut à bon nombre de nos parlementaires. Acclamés par la foule, ils se substituent aux fauves venus d’Afrique qu’on relâchait sur les gladiateurs pour épicer le spectacle. Le sang coule et souille l’intégrité physique des députés aussi bien des lieux. Ils s’insurgent contre toute tentative de levée de l’immunité parlementaire, mais bafouent ces principes en ayant recours à la violence pour régler leurs différends. Celui qui échappe aux griffes acérées, les rugissements et les vociférations le poursuivent à l’extérieur de l’enceinte du parlement.
L’estime des parlementaires auprès du public sombre et perd de son aura de jour en jour. L’autorité de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) découle de la dignité de l’édifice et de l’éclat de ses membres, malheureusement ternis par des guerres intestines. Aucune maîtrise. La haine des uns et le mépris des autres éclaboussent leurs débats.
Chez les Romains, la sélection pour siéger au parlement se fait par le haut. Les tribuns doivent être d’anciens magistrats, ou des hommes fortunés. Sont-ils riches parce qu’ils sont honnêtes ? Ou sont-ils honnêtes parce qu’ils sont riches ? Pour l’égalité des chances, le code électoral tunisien n’exige que trois conditions : avoir la qualité d’électeur; être âgé au moins de 23 ans accomplis le jour de la présentation de sa candidature; être de nationalité tunisienne et né de père tunisien ou de mère tunisienne. Le résultat est le fidèle reflet de la farce. Ceux à qui le peuple a donnés sa chance pour servir le pays s’avèrent indignes. Ils défendent les intérêts et les agendas de parties ennemies aux changements d’après les observateurs. Ils ont trahi les voix de leurs électeurs. Par la volonté du peuple que le châtiment s’abat.
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire
Le jeu pervers des élus du peuple, la rudesse de leurs propos, et la virulence des attaques frontales sont en contraste avec la noblesse de la charge qui leur incombe. D’après le rapport annuel Al Bawsala concernant la première session parlementaire, novembre 2019-juillet 2020, le nombre de projets de lois votés est de 42. Manque d’expérience ou dérive parlementaire ? Innocence ou insouciance ? Les disputes à répétition remplissent leur agenda.
Les tribuns restaient au dessus de la mêlée, la provoquaient, la canalisaient, tiraient les ficelles, et récoltaient les bénéfices. Leur cote de popularité augmente selon le nombre de spectacles offerts aux Romains. Les parlementaires de l’ARP s’entremêlent et s’entrechoquent et perdent très vite patience. Leurs jeux pervers et leurs excès n’amusent plus les spectateurs. Des chars lancés à vive allure sans retenue aucune, les sabots des bêtes écrasent toute tentative de résistance. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Certains élus de l’ARP n’ont pas bien saisi la délicatesse de leur mission. Une fabrique de lois et un laboratoire d’observation et de contrôle de la marche du gouvernement. Méritent-ils le Molière de la pire pièce de théâtre? Ou le Tanit d’or de la pire mise en scène ?
Je n’ose pas me prononcer à vous de choisir.
* Ancien fonctionnaire international.
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