Dans le contexte de la crise polymorphe – institutionnelle, politique, économique et sociale – que vit la Tunisie depuis plusieurs semaines, la «libération» annoncée de Nabil Karoui par une justice pas encore vraiment indépendante, et l’activisme acharné de Rached Ghannouchi, sur les plans national et international, dans sa guéguerre contre le président Kaïs Saïed, posent plusieurs questions sur les desseins de la camarilla islamo-affairiste conduisant aujourd’hui le pays. Il reste à savoir vers quels profonds abîmes…
Par Dr Mounir Hanablia *
Nabil Karoui, poursuivi en justice dans des affaires d’évasion fiscale, de corruption financière et de blanchiment d’argent, pourrait être libéré contre une caution de 10 millions de dinars. Dans l’absolu, on ne peut que s’en féliciter, pour lui-même, et sa famille. Tout être humain a en effet droit à la dignité, à la liberté, et à la justice, et tout citoyen peut se retrouver un jour victime d’une erreur judiciaire ou d’un abus de pouvoir. Mais M. Karoui n’est pas un citoyen ordinaire, c’est le chef du deuxième parti de la majorité parlementaire, Qalb Tounes, celui parmi les membres duquel le chef de gouvernement Hichem Mechichi a décidé de recruter certains des onze nouveaux ministres proposés par son remaniement ministériel, et récusés par le président de la république Kais Saied, dont M. Karoui est aussi l’un des détracteurs les plus véhéments. D’ailleurs au sein de son parti on a toujours attribué son arrestation à des manœuvres politiques, dont des experts partiaux se seraient fait les instruments.
Il est encore trop tôt pour savoir les tenants et les aboutissants judiciaires des faits qui sont reprochés au magnat de la télévision et de la publicité reconverti dans la politique. Il serait cependant faux de dire que d’une certaine manière, on ne s’y fût pas attendu.
Comment Ghannouchi a-t-il pu anticiper une décision de justice ?
Il y a quelques semaines, Rached Ghannouchi , le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et président également du parti islamiste Ennahdha, auquel la rumeur publique attribue un ascendant sur certains magistrats, avait en effet annoncé publiquement qu’il serait libéré avec tous les honneurs. Comment a-t-il pu anticiper ainsi la décision de la justice? La question mérite d’autant plus d’être posée que le bruit avait couru que le parti Qalb Tounès avait subordonné son opposition à la motion de censure en cours contre le président de l’ARP à la libération de son chef. Ce sont là bien sûr des coïncidences, mais la manifestation de rue organisée par le parti Ennahdha et ses alliés en soutien au gouvernement Mechichi, samedi prochain, 27 février 2021, n’en est qu’une autre.
En effet, ce même M. Ghannouchi avait affirmé dans son opposition au président de la république que seuls la justice ou le parlement avaient le droit de désigner les personnes corrompues, l’accusation de corruption risquant selon lui de devenir un instrument du combat politique. Que la justice désigne ainsi les corrompus est bien dans l’ordre normal des choses, l’outrance se situant dans la prétention à déléguer ce pouvoir aux parlementaires, ce que personne n’a paraît-il relevé. Mais M. Ghannouchi semble ainsi placer le parlement qu’il préside dans la position du Dieu qu’il vénère, accusant sans être accusé, frappant d’anathème sans être frappé, innocentant sans s’innocenter, et en l’absence de Cour constitutionnelle, jugeant lui-même sans être jugé.
Il y a quelques jours, il s’est ainsi exprimé sur les colonnes de ‘‘USA Today’’, relativement à la présente crise institutionnelle, affirmant que la démocratie était en danger. Il aurait également eu un entretien avec l’ambassadeur américain, ce qui dans le contexte actuel ne pourrait être assimilé au mieux qu’à une immixtion du Département d’Etat dans les affaires internes d’un pays souverain, au pire, à un soutien à l’une des parties en conflit, à son invitation, assurément la pire.
Les ambitions d’un dirigeant ambitieux, partisan et fanatique
Il semble donc que le président du parlement, et sans aucune qualité pour le faire, veuille s’entourer de toutes les garanties qui vaillent sur le plan international, après s’être assuré les alliances politiques nécessaires à l’intérieur du pays. Dans ces conditions, ce qu’il qualifie d’initiative politique ne saurait tromper. M. Ghannouchi cherche à rejeter sur l’adversaire les responsabilités du refus de négocier et du blocage politique actuel, dont la seule conclusion ne saurait dès lors être que sa destitution pour violation de la Constitution. Mais négocier quoi ?
On n’imagine pas qu’un président de la république élu accepte de se voir priver de ses prérogatives au profit de parties qui n’en possèdent nul droit, particulièrement quand ces parties-là impliquent pour leur propre bénéfice des puissances étrangères.
La Tunisie avait payé au prix fort l’attaque de l’ambassade américaine par des extrémistes religieux, en septembre 2012, sous le gouvernement de la « Troïka», la coalition dirigée par Ennahdha, afin d’épargner aux dirigeants du parti islamiste le courroux de l’administration américaine. Maintenant il faudrait réaliser vers quels profonds abîmes risquent de la plonger les ambitions d’un dirigeant ambitieux, partisan, et fanatique, soutenu par une camarilla affairiste.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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