Jadis un écrin de verdure voire un petit coin d’éden situé à quelques kilomètres au sud Tunis, le Djebel Ressas est aujourd’hui un site défiguré par des charognards afin d’en extraire les roches et gravas nécessaires au fonctionnement d’une structure industrielle grotesque, sans valeur économique, installée sur ses flancs.
Par Hichem Mannai *
Au temps où j’étais transitaire et intermédiaire en douane au port de Radès durant la première décade de cette ère du vingt et unième siècle, pendant les heures creuses de midi à quinze heure, moi et quelques uns de mes amis on se précipitait vers les vergers aux alentours de Mornag pour contempler un paysage d’une autre géographie tout en sirotant un jus de malte aux parfums de notre pays.
Des champs d’arbres fruitiers dessinés comme à la règle
Là on admirait la prairie d’une beauté prenante, des plaines sous les pieds du Mont-Ressas étendues sur des hectares couvertes d’un tapis vert à perte de vue, un petit aérodrome avec un hangar bâti en bois et quelques petits avions de différentes couleurs parsemés ici et là, les champs d’arbres fruitiers dessinés comme à la règle d’un maître-maçon, des lacs remplis d’eau douce provenant du haut de la montagne et ruisselant le long de ruisseaux traversant et défiant tous les obstacles, s’enrichissant ainsi de toutes les vertus minérales de cette bonne terre. Au volant d’un bolide à double ponts on montait jusqu’à l’une de ses crêtes sur laquelle est perchée une station de transmission télé, afin de superviser dans une dernière admiration un panorama hors du temps et hors de l’espace, et on se demandait si ce paysage à la limite de l’imaginaire se trouvait bel et bien à seulement quelques petits kilomètres de la ville de Tunis avec sa jungle grotesque de béton armé et de briques rouges qui polluent notre vision tout au long de nos journées perdues dans ses sales rues et ruelles.
Bref, une échappée belle presque quotidienne qui nous revigorait, nettoyait nos yeux des grossièretés et poussières de la bourgade bétonnée et mécanisée, remplissait d’oxygène nos poumons affaiblis par les gaz toxiques qui s’échappent de partout.
Le Djebel Ressas, lui, majestueux et imposant se dresse comme seigneur et Dieu des lieux, comme provenant d’un autre monde et atterrissant sur des dizaines de kilomètres, il affirme sa position, il impressionne, il incite le respect, oui d’ailleurs il est l’un des sites naturels les plus anciens de notre pays et l’un des deux plus fastueux monts du Grand-Tunis (avec le Boukornine), situé tout près.
Un écrin de verdure transformé en un désastre écologique
Près d’un siècle après l’arrêt de l’extraction de «plomb» dans ses mines datant de l’époque romaine, le djebel s’est doté d’une nouvelle santé, une flore et une faunes des plus riches et variées parmi les sites à proximité des villes fortement peuplées, un lieu de randonnées d’une très grande fréquentation, on y organisent les battus de sangliers sauvage durant les saisons de chasse jouant ainsi un rôle très important dans la promotion touristique de la région. Sans aucun orgueil burlesque c’est un écosystème et un site naturel digne d’être classé patrimoine national voire même patrimoine de l’humanité.
Malheureusement, les cupidités de nos concitoyens «makhzeniens» et clients des pouvoirs politiques avides de pomper les richesses du pays jusqu’à l’assèchement n’ont pas manqué au rendez-vous. Ici et dans ce jardin d’Eden terrestre, la main du mal a frappée fort en installant sur tout l’espace de la prairie verte et joyeuse des structures métalliques et des machines colossales qui ne soufflent que poussière grisâtre transformant petit à petit l’écrin de verdure en un désastre écologique. Un brouillard de particules suffocantes a colonisé tout l’espace environnant. Les arbres fruitiers désormais ne ressemblent plus qu’à des entités pétrifiés. L’eau douce des lacs est empoisonnée par les déchets chimiques de la cimenterie.
Le flanc sud-est du djebel est totalement dévasté afin d’en extraire les roches et gravas nécessaires au fonctionnement de cette structure industrielle grotesque, sans valeur économique aucune, juste une affaire conclue dans un salon de thé ou un bistrot de luxe d’une zone touristique du Sahel, entre une poignée d’affairistes au flair de charognards qui ne laissent derrière eux que la désolation et l’amertume à ceux qui n’ont que l’amour de ce pays qui les anime.
Un appel, aussi tardif que pitoyable, pour l’amour de Dieu, arrêtez de détruire notre patrie, de l’étriper et la dévorer vivante, si ce n’est pas pour vous, ce sera pour les générations à venir, à nos et à vos enfants, ils ne vivront pas tous à l’étranger comme vous le fantasmez, au contraire la majeure partie d’entre eux ont leur destin lié à cette terre. Sauvons le Djebel Ressas, si ce n’est trop tard !
* Fonctionnaire dans une entreprise publique.
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