Cette semaine sera examiné en plénière de l’Assemblée des représentant du peuple (ARP) le projet de loi sur les droits des malades et la responsabilité médicale. La coordination des syndicats du secteur médical privé (syndicats des médecins et des pharmaciens libéraux et syndicats des cliniques privées) a organisé, le 30 avril 2021, une conférence de presse au cours de laquelle elle a annoncé un refus de la version actuelle du projet et l’organisation d’un «sit-in» devant l’ARP en signe de protestation.
Par Dr Abdelmajid Mselmi *
Le projet de loi prévoit la création d’une caisse unique et exclusive gérée par l’Etat qui a pour mission de rembourser les victimes des accidents médicaux non seulement résultant des fautes médicales comme c’est le cas actuellement mais aussi ceux non liés à une faute médicale, lesquels accidents sont appelés «aléas thérapeutiques». Notons au passage que cette dernière catégorie est tés fréquente et de loin plus fréquente que celle des fautes médicales. Et rappelons qu’actuellement ce sont les assurances privées qui payent pour les professionnels du secteur privé et c’est l’Etat qui rembourse pour les agents relevant du ministère de la Santé publique.
Vendre les illusions aux citoyens
L’objectif du projet de loi est certes noble, mais la question qui se pose logiquement c’est où va-t-on puiser des sommes importantes pour compenser des milliers de patients victimes d’accidents médicaux. Alors que le pays vit une crise sanitaire sans précédent, les caisses sociales sont quasi-vides, et l’Etat peine à fournir l’oxygène, les soins basiques nécessaires aux milliers de patients victimes du Covid-19 ainsi que les vaccins destinés aux millions de citoyens. Or, cette loi va entraîner de facto un appel d’air et une demande accrue des patients pour la compensation (ce qui est légitime dans l’absolu) et le patient ne devra plus passer par le tribunal mais se contentera d’une simple demande adressée à une commission régionale de réconciliation dont la création est prévue par cette loi. C’est pour toutes ces considérations que cette «promesse» généreuse apparaît dans les conditions actuelles non seulement comme un vœu pieux irréalisable mais comme un mensonge populiste et démagogique.
Vers un désengagement de l’Etat ?
Il n’est plus un secret que le ministère de la Santé souffre depuis de longues années de la lourde charge des demandes accrues de compensation des accidents médicaux qui sont fréquents dans les hôpitaux publics non pas à cause de l’incompétence des professionnels de santé mais à cause des conditions de travail souvent difficiles et du manque de moyens humains et d’équipements dans ces établissements. Un nombre important de malades victimes d’accidents médicaux et qui ont une décision judiciaire ferme de compensation attendent le paiement depuis des années en vain. Voulant se débarrasser et se désengager de cette lourde charge, le ministère projette, à travers cette loi, de créer une caisse de compensation sous sa tutelle. On préfère ne pas imaginer les complications à venir. Et pour causes…
Le schéma de financement de cette caisse pose problème pour le secteur médical privé. En effet, celle-ci sera financée par les professionnels libéraux (médecins, dentistes, pharmaciens, paramédicaux…) et par les cliniques privées. Des sanctions sont prévues contre les non-payeurs pouvant aboutir à la fermeture des cabinets. Il est vrai que la loi prévoit une participation de l’Etat et des hôpitaux dans le financement de cette caisse, mais tout le monde sait que ces derniers ne vont pas s’acquitter de leurs cotisations vu les difficultés financières chroniques vécues par le secteur public.
Lors des négociations, le ministère de la Santé a toujours refusé de donner des précisions et des engagements sur la nature de sa participation, laissant planer le flou et l’opacité sur cette question. La crainte c’est que le financement d’une telle caisse sera, au final, à la charge presque exclusive du secteur médical privé. Ça sera pratiquement un nouvel impôt qui s’ajoute à la taxe de 1% imposée au secteur médical privé dans la Loi de finances 2019 pour financer le secteur de la santé publique. Trop c’est trop !
L’Etat semble considérer le secteur médical privé comme une vache laitière que l’on peut traire sans limite. Avec cette pression «fiscale» déguisée, beaucoup de professionnels risquent de mettre la clef sous le paillasson et quitter le pays.
La tutelle de l’Etat sur ladite caisse de compensation des accidents médicaux provoque des réserves chez les professionnels libéraux de la santé car l’Etat n’est pas le bon exemple de bonne gouvernance comme l’atteste l’état actuel de plusieurs caisses sociales et établissements publics. En outre, l’Etat n’est pas un bon payeur comme le montre le nombre de patients qui attendent d’être remboursés depuis longtemps en vain. La crainte c’est que le malade va continuer à peiner pour être remboursé par cette nouvelle caisse étatique.
Réviser profondément le projet de loi
La compensation des accidents médicaux est une cause noble. Mais elle n’est pas réalisable actuellement car elle nécessite des moyens financiers importants dont on ne dispose pas. Non seulement à cause de la crise sanitaire et des difficultés budgétaires mais pour donner le temps nécessaire aux hôpitaux pour purger leurs déficits, améliorer leurs conditions de travail et éviter au maximum les accidents médicaux.
En revanche, l’assurance de la responsabilité médicale pour les professionnels du secteur privé doit devenir obligatoire. Les hôpitaux doivent aussi contracter des assurances pour leurs fonctionnaires à l’instar des cliniques privées.
Les fautes médicales confirmées par les commissions régionales de réconciliation seront remboursées.
Quand aux accidents médicaux non liés aux fautes médicales (aléas thérapeutiques), il serait plus réaliste de les reporter ultérieurement, le temps de dépasser la crise actuelle et d’améliorer les conditions de travail dans les hôpitaux. On peut alors concevoir une caisse de compensation sociale et solidaire financée par l’Etat, les donateurs et les partenaires sociaux.
* Chirurgien opérant dans le secteur privé, ancien professeur agrégé.
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