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La parole du président Saïed prête-t-elle à conséquence ?

La question mise en titre de cet article peut choquer beaucoup de lecteurs, et pas nécessairement parmi les partisans du président de la république Kaïs Saïed, car, au-delà du théâtre d’ombres que constitue la scène politique tunisienne depuis 2011, où la réalité est souvent confisquée au profit des apparences, l’interrogation porte sur l’impact même de la parole présidentielle sur les réalités d’un pays en profonde crise et où les mots, quels qu’en soient les auteurs, semblent totalement déconnectés des choses.

Par Ridha Kéfi

La parole présidentielle fait-elle sens ? A cette question, on peut répondre par l’affirmative, car les discours de Kaïs Saïed, dont la tonalité populiste n’est pas l’unique défaut, trouvent une certaine résonance sinon une résonance certaine parmi la population. Et on peut avancer plusieurs preuves à cela.

D’abord la popularité du chef de l’Etat, élu à plus de 72% des suffrages exprimés et qui, plus d’un an et demi après son investiture, reste en haut du classement des personnalités politiques en qui les Tunisiens ont le plus confiance. Ses principaux concurrents et adversaires sont classés très loin derrière, notamment le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, et le chef du gouvernement récalcitrant Hichem Mechichi. Il faut dire aussi que les Tunisiens et les Tunisiennes, qui apprécient l’intégrité, la sincérité et la rectitude morale de Kaïs Saïed, ne tiennent pas en haute estime toutes les autres figures de la scène politique, dont beaucoup traînent des casseroles et alimentent la rubrique des «Echos du Palais».

L’immense popularité d’un président… sans grands pouvoirs

Sur un autre plan, les adversaires de Kaïs Saïed, à savoir les dirigeants du parti Ennahdha et leurs alliés de Qalb Tounes et Al-Karama, pour ne citer que leurs alliés directs, dépensent une folle énergie, dans des déclarations médiatiques, et d’énormes sommes d’argents en devises pour sponsoriser et assurer une large diffusion à des postes sur les réseaux sociaux s’attaquant au chef de l’Etat, colportant des mensonges à son sujet dans le but avoué de mobiliser l’opinion contre lui, mais sans résultat probant jusque-là, puisque plus on l’attaque et plus les attaques sont stupidement injustifiées et injustes, plus le locataire du Palais de Carthage gagne en popularité et en sympathie, même s’il n’est pas foncièrement sympathique aux yeux de beaucoup, puisqu’il est plutôt rigide, cassant, ne souriant jamais et affichant toujours cet air sévère et hostile de celui qui en veut à tout le monde.

Tout cela pour dire que la parole du président Saïed résonne encore dans la conscience des Tunisiennes et les Tunisiens, dont beaucoup lui donneraient le bon dieu dans confession, mais prête-t-elle vraiment à conséquence, imprime-t-elle sa marque sur les réalités du pays, oriente-t-elle les politiques publiques, comme est censée le faire la parole d’un chef d’Etat ?

Là, la réponse est plus mitigée. Car on sait que le président n’est pas d’accord sur beaucoup de choses qui se font dans le pays, et il ne cesse de le dire, mais on a le sentiment que son désaccord ne change rien à la marche des affaires, comme si le pouvoir exécutif, constitutionnellement assumé par le chef du gouvernement, ne se sent nullement engagé par cette parole à laquelle il prête un oreille distrait sinon goguenard. On a même vu, à plusieurs reprises, M. Mechichi répondre du tic au tac aux critiques exprimées à l’encontre de ses politiques par le chef de l’Etat et même les qualifier dédaigneusement de «parlote». Est-ce acceptable ? Cette situation surréaliste peut-elle durer encore plus longtemps sans finir par enlever à l’Etat tunisien dans son ensemble toute crédibilité aux yeux de ses citoyens et de ses partenaires étrangers ?

Un système politique bloqué, un pays au bord de l’implosion

La dernière «scène de ménage» à la tête de l’Etat, à laquelle nous avons été contraints d’assister, la mort dans l’âme, puisqu’elle a été diffusée par toutes les chaînes de télévision, a eu lieu vendredi 11 juin 2021. On y a vu le président Saïed, le regard en feu, les traits sévères, le visage torturé par la colère, gesticulant, sur le point de sauter de son siège, s’adressant, avec des mots menaçants, au chef du gouvernement Hichem Mechichi et à la ministre de le Justice par intérim Hasna Ben Slimane.

Au-delà des reproches exprimés par le chef de l’Etat à cette occasion, et qui sont on ne peut plus légitimes, les masques de protection portés par les trois protagonistes ont accentué ce douloureux sentiment d’incommunicabilité ou de dialogue de sourds que dégageait cette terrible scène, mettant, face-à-face, dans un improbable pugilat politique, un président en colère et prêt à en découdre, mais visiblement frustré, impuissant, et qui reporte toujours le coup décisif à la fois d’après (quand ? seul Dieu le sait), et un Premier ministre, véritable tête à claques, prêt à tout encaisser, y compris la plus inacceptable humiliation, pour durer le maximum de temps à son poste, l’essentiel pour lui étant de satisfaire les trois partis constituant ce qu’il appelle son «coussin politique» : Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama. La Tunisie et les Tunisiens iront en enfer…

Dans cette tragédie du pouvoir, alimentée par une haine cordialement partagée, à laquelle il ne manque finalement que le sang pour servir de matière à une pièce shakespearienne, c’est la Tunisie qui est la principale perdante, victime d’un système politique totalement bloqué, imposé par la Constitution de 2014, et qui n’offre, désormais, qu’une seule issue possible mais non-souhaitable : une nouvelle révolution, avec son lot de violence et d’instabilité.

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