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Saied – Ghannouchi : des retrouvailles imposées par les circonstances

Il ne faut raisonnablement pas s’attendre à des conclusions importantes de la réunion hier entre le président de la république et celui du parlement, les divergences de vues entre les deux hommes restants très importantes. Mais celle-ci aura quand même été utile pour pour assainir un tant soit peu l’ambiance générale au sommet de l’Etat dans l’espoir de détendre les relations entre ses deux têtes,  prélude à de probables concessions politiques de part et d’autre dont le chef du gouvernement pourrait faire les frais.


Par Raouf Chatty *

Le président de la république Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste Ennahdha, la plus importante force politique en Tunisie, également président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), se sont entretenus longuement en tête-à-tête au Palais de Carthage, jeudi 24 juin 2021, en marge de la cérémonie officielle  consacrée à la commémoration du 65e anniversaire de la création de l’armée nationale. 

Cette  entrevue, dont rien n’a filtré, n’aurait pas suscité autant de commentaires dans le microcosme politique, médiatique et intellectuel si ces deux personnalités  politiques majeures dans le pays n’étaient pas en froid et pratiquement en rupture de contacts depuis plus de cinq mois, sur fond de différends sur des questions  politiques majeures liées à l’exercice du pouvoir, dont les relations heurtées entre le président de la république et le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, soutenu par M. Ghannouchi, et qui ont causé une crise institutionnelle et politique sans précédent au  sommet de l’Etat.

Vers des relations apaisées et équilibrées au sein de l’Etat

Cette réunion a été aggravée par la crise gouvernementale, économique et sanitaire d’une très grande acuité que vit le pays depuis plusieurs mois et qui le met de plus en plus au bord de la faillite financière et de l’explosion sociale. 

Quand on sait que des divisions profondes opposent MM Saïed et Ghannouchi tant sur l’interprétation de la Constitution que sur la répartition des compétences entre eux et la manière de les exercer au sein de l’Etat, sur fond de divergences profondes sur un remaniement du gouvernement effectué depuis cinq mois et qui n’a toujours pas reçu l’aval du président de la république, l’on est en droit de se poser la question de savoir si la réunion de ce jeudi entre les deux hommes ait pu aboutir à quelques conclusions positives pouvant débloquer la crise et permettre d’établir des relations un tant soit peu apaisées et équilibrées au sein de l’Etat, des relations susceptibles d’aider au règlement des crises profondes que traverse le pays depuis 2011…

L’autre question légitime qui se pose est celle de savoir si chacun des deux hauts responsables de l’Etat acceptera de faire en ce qui le concerne machine-arrière  dans un échiquier politique versatile et instable et où chaque partie a sa lecture propre de la Constitution et est très attachée à ce qu’elle considère comme ses compétences inaliénables?

L’examen de l’actualité politique et des actions de ces deux autorités sur le terrain, qui les mettent dans une compétition quotidienne au lieu de les unir dans la défense de l’intérêt général, nous amène à répondre par la négative à cette question.

En effet, chacune des deux parties continue dans les faits de démontrer qu’elle n’est pas prête à renoncer à ce qu’elle considère comme ses attributions constitutionnelles et qu’elle est prête à tout faire pour triompher de l’autre partie.

Le président de la république, visiblement exaspéré par les dépassements attribués au président du parlement, ne manque aucune occasion pour affirmer haut et fort que l’Etat n’a qu’une seule tête et qu’il est le chef et le garant de l’unité de l’Etat, de son invulnérabilité et de sa présence sur la scène internationale. 

Le président de la république avait rappelé ces vérités quelques jours plus tôt, lors de sa rencontre avec d’anciens chefs du gouvernement retransmise par les télévisions et les radios micro ouvert.

S’agissant du «dialogue national» proposé par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) au président de la république, celui-ci avait, lors des entretiens séparés accordés par lui respectivement au secrétaire général de la centrale syndicale, Noureddine Taboubi, et à Lotfi Zitoun, ancien ministre nahdaoui et ex-conseiller de Rached Gannouchi, indiqué qu’il y est favorable en proposant qu’il y soit discuté  de  l’établissement d’un nouveau régime politique, de la modification du mode de scrutin  en prévision de l’organisation d’élections anticipées, législatives et présidentielles, et de la tenue d’un référendum sur la nature du régime politique. Le président de la République s’est dit également favorable à un retour à la Constitution du 1er juin 1959, moyennant quelques amendements pour l’adapter aux exigences démocratiques.

Apaisement passager sur fond de divergences profondes

La déclaration présidentielle a rencontré une vive opposition au sein du parti Ennahdha. Certains de ses ténors ont manifesté leur opposition au retour à la Constitution de 1959, exprimé le désir du parti de maintenir le chef du gouvernement en exercice et de former un gouvernement politique sous sa conduite. Pour eux, les questions de la réforme de la Constitution de 2014  et de la modification de la Constitution de 2014 pour abandonner le régime parlementaire ne doivent faire l’objet de discussions 

Dans ces conditions, il ne faut raisonnablement pas s’attendre à des conclusions importantes de la réunion entre le président de la république et celui du parlement.  Mais cette réunion aura quand même été utile pour pour assainir un tant soit peu l’ambiance générale au sommet de l’Etat, en attendant de détendre les relations entre ses deux têtes, prélude à de probables concessions politiques de part et d’autre dont le chef du gouvernement pourrait faire les frais.

Cette rencontre a également été utile pour permettre un déblocage des affaires de l’Etat à un moment où le pays est en pleine guerre contre le Covid-19 qui continue de faire des ravages parmi la population avec un bilan des plus alarmants, le nombre des décès ayant dépassé, à ce jour, les 14.300 morts et est susceptible d’augmenter rapidement avec la hausse du nombre de contaminations prouvées, ayant dépassé la barre des 2000 par jour. Ancien ambassadeur.

* Ancien ambassadeur.

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