Certains projets de lois restent en plan dans les tiroirs de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pendant des mois voire des années avant d’être sortis et votés au pas de charge et dans des conditions pour le moins louche et contestées par les députés de l’opposition, auxquels on ne laisse pas le temps d’examiner et de discuter du texte. C’est le cas du nouveau code des eaux, voté hier, jeudi 15 juillet 2021, par 118 voix pour et uniquement 2 abstentions, mais qui n’en suscite pas moins des interrogations légitimes.
L’adoption de ce texte constitue un tournant dangereux pour la Tunisie, estime Raoudha Gafraj, experte en ressources en eau et changements climatiques, en soulignant dans un post sur facebook que le nouveau code témoigne de l’incapacité du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche à gérer ce secteur stratégique, alors que la Tunisie fait partie des pays au monde qui souffle de la rareté de cette ressource vitale. L’experte et universitaire pointe du doigt des contradictions dans le nouveau texte, notamment entre l’affirmation de la mainmise de l’Etat sur les ressources en eau et la régularisation de la vente de l’eau par des privés, laquelle constitue, selon elle, une forme de privatisation.
Le rapport entre les ressources en eau et les changements climatiques oublié
L’assainissement des eaux, objet de concessions depuis 2008, constitue, selon Mme Gafraj, un second exemple de privatisation, étant donné que les eaux assainies peuvent être ré-exploitées.
S’agissant de la garantie de l’égalité de l’accès à l’eau et à l’assainissement, que le nouveau code tend à réaliser, l’experte estime qu’elle serait impossible étant donné que les coûts du raccordement des agglomérations rurales de moins de 3000 habitants au réseau d’assainissement sont trop chers et non rentables, d’autant que les projets de raccordement sont, généralement, financés par des bailleurs de fonds internationaux.
Estimant, par ailleurs, que le nouveau texte n’a pas traité, d’une manière approfondie, le rapport entre les ressources en eau et les changements climatiques, Mme Gafraj a noté que la création d’un Conseil supérieur de l’eau, présidé par le chef du gouvernement, ne fait qu’alourdir inutilement les charges de l’équipe aux commandes à la Kasbah et renforcer la bureaucratie dont souffre le pays.
Un pas sur la voie de la réalisation de la justice hydrique
Cet avis n’est cependant pas partagé par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) qui a participé à la concertation sur le projet du nouveau code des eaux. Le forum avait au début critiqué la version soumise à l’ARP, estimant qu’elle reflète une tendance vers la marchandisation de l’eau et une volonté de ses auteurs de se plier aux exigences des bailleurs de fonds internationaux. Il a, ensuite, estimé que le projet approuvé par la commission de l’agriculture, constitue un premier pas sur le chemin de la réalisation de la durabilité des ressources et de la justice hydrique.
Le Forum a exprimé, en juin dernier, sa satisfaction quant au contenu du nouveau projet qui correspond à sa vision en matière d’amélioration des services de l’eau et de préservation de cette richesse nationale dont dépendent la souveraineté nationale et la paix sociale.
Il a, également, appelé à soutenir les propositions de la commission relatives à la suppression du système des groupements hydrauliques et l’instauration de l’obligation d’établir l’égalité entre les villes et les zones rurales en matière de services d’assainissement.
Il a formulé l’espoir de voir un changement des politiques hydrauliques et agricoles intervenir conformément aux nouvelles propositions, souhaitant que les fonds nécessaires à ce changement soient mobilisés pour que le nouveau code ne reste pas lettres mortes.
L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a entamé, lors d’une plénière tenue, mercredi 14 juillet, la discussion du Projet de loi organique n° 66/2019 portant sur la promulgation du code des eaux, lors d’une séance marquée par les habituels confrontations entre les députés d’Ennahdha et ceux du Parti destourien libre (PDL), ayant même donné lieu à des violences verbales et physiques.
Des mouvements sociaux à cause des pénuries d’eau
La refonte du code des eaux est notamment exigée, selon des experts, par les bailleurs de fonds internationaux, notamment la Banque mondiale dont le directeur à Tunis, Tony Verheijen, avait publié, en avril 2019, le témoignage suivant sur le blog de la banque : «Lors de mon troisième été en Tunisie, des manifestations ont éclaté un peu partout dans le pays, à une fréquence inhabituelle. (…) La plupart de ces mouvements sociaux ont eu pour enjeu de protester contre les pénuries d’eau». Il avait, notamment, noté dans ce témoignage la dilapidation de cette ressources par les plus riches «pour le lavage de véhicules et l’arrosage», affirmant que les hôtels également «ne semblent pas trop se soucier de la façon dont l’eau est utilisée».
La discussion du nouveau code des eaux à l’ARP a démarré alors que les problèmes dus au stress hydrique que connaît le pays se multiplient avec la montée des températures et la régression des réserves.
A cet égard, le PDG de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), Mosbah Hellali, avait déjà alerté dans une interview accordée à l’agence TAP, début juillet, que le taux de remplissage des barrages a atteint 43,9% en 2021, contre 76,1% en 2019, suite à deux années consécutives de sécheresse.
L’année en cours s’annonce encore plus difficile que 2020, pour la Sonede. Ainsi, avait-il annoncé que certaines zones comme le Sahel, le Cap-Bon, Sfax, le sud-est et Gafsa connaîtront cet été des coupures, et ce, en raison de la densité de la population et de l’activité industrielle dans ces zones qui souffrent déjà d’un déficit structurel en eau.
La région de Sfax enregistre un déficit estimé à 15%, contre 25% pour celles du sud-est, de Tataouine et de Gabès, avait expliqué le premier responsable de la Sonede.
D’après Tap.
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