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Tunisie : Petit dictionnaire de la fourberie politique

Miniature persane représentant une scène de l’ouvrage classique d’Ibn Al Mouqafaa « Kalila wa dimna », ou la politique comme un bestiaire.

Je n’ai pas le génie de Jean de La Bruyère pour écrire  »Les caractères ou les mœurs de ce siècle ». Cependant et néanmoins, depuis mon retour en Tunisie en 2017, je découvre, sur la scène politique tunisienne, des personnalités assez fantasques qui me font penser presque tous les jours à Molière, Jean de la Bruyère et bien sûr Abdallah Ibn Al-Muqaffa et son  »Kalila Wa Dimna »…

Par Helal Jelali *

Savez-vous pourquoi le dinosaure avait disparu? Paraît-il, parce qu’il n’avait pas fait de formation continue… Mes personnages sont vraiment des génies dans ce domaine.

J’ai rencontré celui qui se présente Nahdhaoui, le matin, et puis Frontiste à midi et Nidaiste le soir… Le pauvre, il faut bien qu’il améliore son sort…

Le bal des intrus

Les vestes ne coûtent pas cher à la friperie, certains les changent selon la situation. Petite remarque, ces vestes sont toujours mal repassées…

Il y a l’islamiste «global», l’islamiste «total», ou totalitaire, avec une parure de piété et d’humilité sortie des temps anciens. L’islamiste politique est, quant à lui, souvent un honnête commerçant, très discret dans ses affaires et la barbe bien taillée. Il vous offre un visage bienveillant pour vous inviter à lui faire confiance.

Chez les islamistes démocrates ou ceux qui rêvent de le devenir, vous avez peut-être découvert les intrus et les «entristes», spécialité du Léninisme Il sont très facile à repérer : psycho-rigides et agités, leur discours est construit sur l’enfumage et l’esquive et leur analyse n’a recours qu’aux comparaisons.

Nous avons les flagorneurs, ils étaient nombreux au temps de Béji Caïd Essebsi, même au Palais de Carthage – les «tabala», «bandara» ou «qaffafa» en tunisien –. Leur spécialité: protéger le chef mais profiter au maximum des privilèges.

Méfiez-vous de certaines personnes qui prononcent 20 fois la minute le mot «qanoun» (loi), ce sont les premiers à la transgresser…

Les nouveaux Bourgeois Gentilhommes

Ceux qui font légion depuis quelques années : ce sont ceux qui disent le contraire de ce qu’ils font et se font passer pour ce qu’il ne sont pas : comme Monsieur Jourdain, ils échouent dans tout ce qu’ils entreprennent, mais ils crient après leurs échecs: «Nous avons gagné… nous avons gagné…» Depuis dix ans, il n’arrêtent pas de gagner… des sous et des privilèges.

Vous avez l’homme des médias qui attaque un gendre bien connu sur la place publique le matin, et le retrouve le soir dans un salon privé d’un bel hôtel.

Les meilleurs à découvrir, ce sont les spécialistes des colloques et des séminaires dans les beaux hôtels de Hammamet…Tous frais payés pour un bon week-end de préférence en célibataire, sait-on jamais , si la pêche pourrait rapporter…

Et les complotistes, pour qui la faute est toujours imputés aux autres: les Américains, les Européens, les Turcs et les autres, notre pays va mal à cause d’eux. Ceux-là se prennent pour des spécialistes de la politique internationale, mais à part le papier journal du poissonnier, leurs doigts n’avaient jamais touché un newspaper.

Le Rcdiste caméléon

Mais alors… Mais alors? Le comble, c’est ce célèbre Rcdiste qui, au lendemain du départ de son big boss en Arabie saoudite, a débarqué au bureau avec un petit tapis pour faire ses prières les portes de son  bureau grandes ouvertes. Ici, je ne peux qu’apprécier Spinoza qui avait écrit que «le repentir est une seconde faute».

Comment peut-on faire des études de relations internationales à Genève, être diplômé de droit de l’université de la Haye et du Wisconsin, fonctionnaire onusien, ministre de la Défense et des Affaires Étrangères de Ben Ali et terminer sa carrière à courber l’échine devant un chef islamiste pour un poste de ministre… Le vertige de l’ambition ou la chute d’Icare ? «Rien de plus pathétique que le dérisoire», aurait répété Lamartine.

Je compatis avec les samaritains, envahis par des généreux donateurs qui sur les chemins des douars roulent en Porsche, avec un pantalon de golf, pour embrasser ces vieilles paysannes et leur exprimer tout son soutien. L’exhibition n’a rien à voir avec le marketing politique. Je commence à croire que ce sont ces pauvres paysannes qui soulagent la bonne conscience du propriétaire de la Porsche. Histoire de contre-transfert psychanalytique. Au secours, Monsieur Freud !

Les maréchaux de pacotille

Depuis l’indépendance, nous avons une doctrine qui a nourri plusieurs générations de politicards: celle de l’«isteblah»: considérer le peuple comme un troupeau d’imbéciles, lui asséner des mensonges présentés comme des vérités divines. Dans ce chapitre, comme au cirque, vous avez sûrement découvert des clowns, des jongleurs et des prestidigitateurs.

Depuis quelque temps, vous avez sûrement découvert sur vos écrans les goujats, souvent méchants et violents. N’ayez pas peur, ce sont des coqs de villages qui se prennent pour des Rambo. C’est bien connu, «en temps de paix, le mercenaire se dérobe, en temps de guerre, il déserte», disait Machiavel

Nous avons tous étudié au lycée Anatole France, rappelez-vous qu’il disait: «La violence est le dernier refuge de l’incompétence».

Monsieur Molière, la Tunisie t’exprime toute sa gratitude et sa reconnaissance pour avoir écrit « Les fourberies de Scapin », « Le politicien malgré lui », mais non excusez-moi, « Le médecin malgré lui », « Le bourgeois gentilhomme » , et surtout « Le tartuffe », ce faux dévot, imposteur professionnel. M. Molière, la Tunisie te remercie, parce que tes spectacles sont du théâtre «vivant» chez nous, bien qu’il soit tristement vivant…

L’ancien ministre français Edgar Faure, surnommé la girouette, pensait qu’«il est indispensable de distiller un peu de vérité pour faire passer un gros mensonge.» Certains des nôtres ont ouvert une académie pour enseigner cette stratégie.

Vous pouvez vous amuser avec la race des voltigeurs : une année à Nidaa Tounes, une deuxième à Qalb Tounes, et une troisième année à Tahya Tounes… Ces personnages ont un pressing à la place de la cervelle. Généralement à table, ils ne mâchent pas les morceaux de pain ou de viande, mais les avalent directement comme les reptiles. Ils ramassent les chips de fin de soirée et les cachent dans leur cartable…

Enfin, quelques notables, vrais connaisseurs des sciences administratives, comme disait Coluche «Même dans le désert, ils trouvent le moyen de manquer de sable». Ils sont spécialisés dans le mille-feuilles administratif. Pour eux, la faute est à ces politiques… Mais attendez, revenez demain… 

Les tricheurs de la mémoire et de l’histoire

Terminons avec quelques cas de nostalgiques bien affectueux du bourguibisme. Ils me rappellent Mme Bovary, ils mélangent la réalité et le désir romanesque. Depuis une année, ces nostalgiques nous racontent que le «zaim» était un grand diplomate… Non, mais arrêtons. «Si Lahbib» était un des rares leaders du tiers-monde à soutenir les Américains dans la sale guerre du Vietnam dans les années 1970. Dans l’affaire de la base militaire française de Bizerte, aux Nations Unis, les Américains se sont abstenus… Pas de soutien à la diplomatie du Combattant Suprême à cause de ses sautes d’humeur et son instabilité. «Si Lahbib» avait des rapports houleux avec Boumediene, Kadhafi, Nasser, considérés par lui comme des pro-Soviétiques. Il critiquait ouvertement, sans retenue diplomatique, les rois et émirs du Golfe. Presque zéro investissement étranger dans les années de collectivisme d’Ahmed Ben Salah, son super-ministre de tout. La démarche mémorielle n’est pas l’Histoire.

Comme en amour, le dépit et le ressentiment rendent aveugles ces nostalgiques, et parfois tricheurs… tricheurs avec leur  propre histoire et leur propre mémoire. 

Enfin , devrions-nous pleurer ou rire devant de tels spectacles? Peut-être les deux à la fois. Un éminent neurologue nous a appris que les deux émotions sont localisées dans la même zone du cerveau et c’est cette équation émotionnelle qui a fait tout le succès de Molière… et de Walt Disney aussi. Sauvons au moins notre humour, seul gardien de notre élégance du désespoir.

* Ancien journaliste basé à Paris. 

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