Le sentiment d’appartenance à une nation se mesure au degré de respect de l’intérêt commun. Or, il suffit de comparer le civisme du peuple suisse, malgré un Etat confédéral et quatre langues nationales, à l’incivisme qui est dominant en Tunisie, malgré une langue commune, une religion commune et même une doctrine (le malékisme) commune, pour se convaincre que notre pays est loin encore de constituer une nation, même s’il possède un drapeau, un hymne national et a un siège aux Nations unies.
Par Nizar Chabbi *
Le meilleur moyen de vérifier, au-delà de la palabre, si une communauté nationale existe réellement dans les consciences, c’est de mesurer son niveau de respect de la chose publique: espace public et bien public.
Dans notre pays, une autre fiction du temps court est que ce qui est de l’ordre de la famille est parfaitement respecté. Nous érigeons en sacralité le respect du père, de la mère, de la famille… même dans nos émissions les plus exécrables et les plus regardées, comme celles de «Si Ala». Le respect du foyer domestique notamment par l’ordre et la propreté, ou le respect dans la façon de recevoir l’étranger au sein de la famille – surtout s’il est occidental et chatouille notre complexe du colonisé – sont des sacralités au sein de notre société dont les racines remontent aux temps immémoriaux de nos ancêtres carthaginois, berbères et arabes (n’en déplaise à certains).
La preuve par la benne à ordure du quartier
En revanche, nous en sommes tous les témoins oculaires quotidiens, pour ce qui est de l’espace du bien public, de la rue, de la pseudo benne à ordure de notre quartier, des équipements collectifs tels les bus ou le mal nommé métro (qui est en fait un tramway), d’un systématique mépris et d’une dégradation collective quotidienne ! Un incivisme qui fait des principales villes tunisiennes de véritables déchetteries à ciel ouvert.
Constat peu flatteur d’une absence quasi-totale de réelle conscience citoyenne par les faits, que certains s’empressent d’expliquer, soit par le manque de diligence des services publics, soit – de la part des moins ignorants des plus fins – par un ressentiment atavique à l’encontre de tout ce qui appartient au «hakem» ou a l’autorité publique, qui dans l’inconscient tunisien ne saurait être qu’un tyran illégitime, partant des califes hafsides tels Mourad II dit «Boubala» (le décapiteur, tel le Vlad l’Empaleur du moyen-âge nord-africain), et en passant par les beys turcs, le colonisateur français, ou l’Etat moderne incarné par feu Bourguiba, Ben Ali, et ceux qui les suivirent depuis la mal nommée révolution.
La solidarité ne s’élève pas au-delà de la famille élargie
Il suffit pour s’en convaincre de comparer le civisme du peuple suisse, malgré un Etat confédéral et quatre langues nationales, à l’incivisme qui est le nôtre, malgré une langue commune, une religion commune et même une doctrine (le malékisme) commune!
Bref! Ni conscience ni solidarité nationale!
Une absence de réelle conscience nationale qui se prolonge tout aussi logiquement d’une absence quasi-totale de de solidarité nationale, que l’on peut palper à l’échelle individuelle quotidienne! Ce qui explique aussi, plus que toute autre raison bien plus sérieuse que tout autre roman national, pourquoi notre pays atteint ce niveau de corruption et de mépris du peuple de la part d’une pseudo élite dont la conscience et la solidarité ne s’élève pas non plus au-delà de la famille élargie et du cousinage que l’on ne connaît que trop bien.
* Juriste.
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