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Un autodafé canadien : la censure a bonne conscience

Par Toutatis, par Bélinos, par Jupiter, par Apollon, par Belzébuth, par Allah… par exemple. Des répliques d’anthologie dans Astérix le Gaulois. Par pitié on vient de retirer des rayons des bibliothèques publiques canadiennes les albums de l’homme qui tire plus vite que son ombre sans faire de bulles dans un monde absorbé par la crise afghane. Désormais, il ne mâchera plus le chiqué dans les salles feutrées. Il sera dorénavant un pauvre cow-boy solitaire loin de chez lui chevauchant Jolly Jumper. Quant au Gaulois, il ne fera plus de voyages outre-Atlantique. Le vieux monde lui suffit.

Par Mohsen Redissi *

L’obscurantisme n’a guère de religion, il est souvent le prédateur de la liberté de penser. Des écoles canadiennes ont détruit près de 5 000 livres jugés irrévérencieux et discriminatoires envers les populations autochtones d’Amérique, 155 références au total. Tintin, Astérix, Lucky Luke… les BD des visages pâles venus d’Europe, celles qui ont meublé nos longues journées de canicule, portent atteinte à la dignité des Premières nations. Les Canadiens les accusent de semer la zizanie entre les autochtones et le reste de la population et de ne véhiculer que des stéréotypes et de fallacieux préjugés sur les Canadiens de souche. Tout indique que l’humour de René Goscinny fait froncer les sourcils des Canadiens. Astérix est jeté au bûcher. Ugh !!!

Allumez le feu !

L’histoire a été révélée le 6 septembre par la chaîne publique Radio-Canada. Tout a commencé en 2019 par une cérémonie initiatique «de purification par la flamme» quand le conseil scolaire catholique Providence, regroupement de 30 établissements francophones de la province de l’Ontario, a jeté au feu une trentaine de livres sataniques dont le but principal est de racheter les faveurs des descendants des Iroquois, les premiers habitants de la province. D’après un récent recensement il y aurait plus d’un million d’Autochtones au Canada, soit 4,3 % de la population totale du pays. Le Premier Grand Manitou canadien Justin Trudeau sort de son grand tipi et rompt le silence. Il condamne fermement ce bûcher gratuit.

La chasse à la sorcière ne se limite pas seulement aux BD et aux albums de jeunesse. Des romans, des encyclopédies, des récits… sont touchés par cette large folie d’épuration littéraire. L’exclusion touche les livres anciens et les nouvelles publications. Tous les motifs sont bons pour écarter les ouvrages irrespectueux accusés de reproduire des stéréotypes désuets. Qualifier un autochtone de «Peau rouge» est jugé comme un langage non acceptable par le conseil Providence. Les biographies et les récits d’explorateurs tels que Jacques Cartier, Étienne Brûlé, Samuel de Champlain… ont été retirées sous prétexte de contenir des informations jugées fausses.

Les griefs de Suzy Kies, gardienne du savoir autochtone issue des Premières nations, sont multiples. Elle veut accrocher au totem peinturluré de son campement le scalp de ceux qui ont porté préjudice à ses aïeuls. Elle accuse les auteurs des BD et les romanciers de :

– privilégier l’homme blanc;
– toujours donner le pouvoir aux visages pales;
– cantonner l’Indien (l’autochtone) dans le rôle du méchant;
– donner une image de la femme autochtone comme une squaw facile à séduire;
– présenter les autochtones comme sauvages et paresseux;
– le mot amérindien à exclure à cause d’une erreur d’appréciation du navigateur;
– peindre les autochtone comme des buveurs invétérés.

Elle va bien loin dans ce délire dangereux. Elle mène une guerre psychologique contre ses compatriotes. Elle décoche des flèches contre des auteurs autochtones contemporains. Eux aussi passent aussi à la trappe, ils sont écartés à cause de mots jugés inappropriés ou portant atteinte à la jeunesse en abordant des sujets tabous comme la prise d’alcool ou autres substances. Les auteurs se plaignent, leurs livres ont été retirés des bibliothèques sans avoir été avisés ou consultés.

Cet aveuglement pousse la responsable de cette campagne à bannir tout ouvrage écrit sur les autochtones sans consulter les communautés autochtones. Elle lance sur ses adversaires son tomahawk qui coupe l’air en sifflant. «Jamais à propos de nous sans nous» est son cri de guerre. Ce refus de toute autre opinion que celles des leurs est une autosatisfaction dangereuse car cette censure absurde et stérile peut freiner toute créativité.

Une ascendance autochtone inventée

Cette vague de folie de laver l’affront par le feu a alimenté la discorde entre les groupes sociaux. Des généalogistes, réunis en conseil de sages, se sont penchés sur son cas. Ils ont fouillé les archives et ont remonté jusqu’à 1780 à la recherche des origines de Suzy Kies, gardienne de l’image idyllique des Premières nations. Ils lancent leurs premiers signaux de fumée à la fin du Conseil des anciens. Aucune trace. Elle aurait menti sur ses origines. Ce camouflet a obligé le conseil Providence à suspendre momentanément son projet de purifier l’atmosphère en jetant des livres au bûcher. 

Imaginons le contraire, si chaque fois qu’un groupe social, ethnique ou linguistique… se considère lésé, trahi ou mal représenté engage une procédure de dédommagement ou demande le retrait de l’ouvrage incriminé? Plus de pièces de théâtre sur les gays si l’auteur n’est pas un homo comme ils disent. Seuls les Afro-américains de souche dont les origines remontent au début de la traite des hommes d’Afrique peuvent écrire sur les Afro-américains d’aujourd’hui. Sur les premières pages des livres sur l’islam et les musulmans figurent les origines arabes et musulmanes de l’auteur avec les tampons des douanes saoudiennes attestant de son pèlerinage à la Mecque.

Ce comportement discriminatoire ne peut que détériorer les relations inter-communautaires et nuire aux activités économiques, sociales et culturelles. Les groupes sociaux seront enclins de choisir et d’agir selon des critères subjectifs qui dicteront leurs choix. Une autocensure qui ne plaît qu’aux vaniteux. L’aventure au lieu de finir à l’accoutumée autour d’un grand baquet le soir venu, où le sanglier grillé ne manque jamais au menu, où la gervoise coule des fût, cette fois-ci les livres de la jeunesse et les BD sont le bois de chauffe d’un humour mal apprécié par une nation qui payé le tribut fort de la dominance de l’homme blanc.

* Fonctionnaire international à la retraite.

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