Le mandat de dépôt décidé à l’aube d’aujourd’hui, samedi 30 octobre 2021, à l’encontre de quatre accusés dans une affaire de corruption financière et administrative relative à la gestion d’un marché public, dont Samir Taieb, l’ancien ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, suscite un certain nombre de remarques et d’interrogations.
Par Ridha Kefi
D’abord, on ne peut qu’être d’accord avec Saïda Garrach, amie et avocate de Samir Taieb, qui refuse de croire que l’accusé, dont le parcours intellectuel et politique a été assez exemplaire, ait tiré le moindre profit personnel de cette affaire qui tient plus, en tout cas à son niveau, de la mauvaise gestion administrative que de la corruption financière.
Professeur de droit avant d’être activiste politique puis de devenir haut responsable du gouvernement, Samir Taieb semble s’être pris les pieds dans l’inextricable sophistication des procédures administratives et juridiques pour commettre, avec une étonnante légèreté, des dépassements qui lui valent aujourd’hui des soucis avec la justice. D’autant que le marché passé par le ministère avec une société d’informatique pour la conception d’une application permettant de mieux gérer le réseau des barrages, marché au cœur de cette affaire, remonte à 2014, et qu’à son arrivée à la tête du ministère, en 2016, il n’a fait que prendre le train en marche, le marché étant déjà largement engagé et les retards dans son exécution constatés, signalés aux intéressés et dûment consignés par les services concernés.
Privilèges, croche-pieds et chausse-trappes
Cette douloureuse mésaventure de Samir Taieb va sans doute donner à réfléchir aux acteurs politiques qui, généralement, se bousculent au portillon du gouvernement et, appâtés qu’ils sont souvent par les privilèges liés aux hautes fonctions, commettent parfois des facilités ou ont de ces étourdissements liés à l’ivresse du pouvoir qui les aveuglent et les font trébucher devant l’obstacle, les croche-pieds et les chausse-trappes, souvent mis sur leur chemin par des collaborateurs envieux ou mal intentionnés, étant nombreuses. L’administration tunisienne est, on le sait, gangrenée par la corruption, petite et grande, et ceux qui hantent ses couloirs, sont tout sauf des enfants de chœur.
Sur un autre plan, et pour parler de la justice tunisienne, qui n’est pas un modèle de rigueur et de probité, force est de constater que nos chers juges montrent, d’une affaire à une autre, sans que l’on sache à chaque fois pourquoi, une incroyable sévérité ou un laxisme qui laissent pantois. C’est à la tête du client ou selon les dispositions des juges : les premiers font du zèle en matière de lutte contre la corruption et les seconds prononcent des verdicts souvent dictés par des calculs politiciens. Par carriérisme ou par opportunisme, on se protège comme on peut d’éventuelles représailles de la part des politiques ou on pousse son avantage pour avancer dans la hiérarchie… Mais c’est tout comme.
Carriéristes, pauvres bougres et gros poissons
Résultat des courses : le public perd confiance dans la justice qu’il soupçonne, tour à tour, d’acharnement injustifiable et de laisser-aller complice. Le fait que des affaires autrement plus graves, relatives à des assassinats politiques, prennent plusieurs années sans connaître de dénouement ou se perdent dans les méandres des complications, des manipulations et des incessants reports, alors que d’autres de moindre gravité sont jugées avec une célérité mystérieusement retrouvée ne sont pas de nature à rassurer le public sur l’utilité d’une justice indépendante, parfois trop indépendante et qui n’en fait qu’à sa tête, refusant toute ingérence dans ses affaires et rejetant même les reproches qui lui sont faits par le président de la république comme intolérables. Comme si ses affaires ne concernent pas douze millions de justiciables parfois démunis et désarmés face à la machine judiciaire.
Tout cela pour dire que la guerre contre la corruption est certes nécessaire, notamment parmi les agents publics qui doivent être irréprochables pour servir de modèle et donner l’exemple, mais elle ne doit en aucun cas devenir un moyen de règlements de comptes ou pour se défausser à bon compte sur de pauvres bougres qui se font attraper par le radar et… permettre ainsi aux gros poissons de passer par les mailles du filet.
A bons entendeurs…
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Tunisie : Les dérives de la guerre contre la corruption
Tunisie : Pourquoi Kais Saied risque de perdre la bataille
Saïed nomme Najla Bouden à la Kasbah : Trêve de politique, pensons un peu à l’économie !
Donnez votre avis