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Etat, religion et constitution en Tunisie : que peut-on attendre de Kaïs Saïed ?

La Tunisie a eu la grosse infortune de voir son destin basculer des mains d’une secte arriérée, le mouvement islamiste Ennahdha en l’occurrence, à celles d’un pouvoir absolu. Kaïs Saïed, dont les pouvoirs sont désormais exclusifs, peut-il en faire usage pour mettre sa vision en pratique et débarrasser le pays des dispositions constitutionnelles moyenâgeuses qui entravent sa marche en avant. Mais le fera-t-il ou se dégonflera-t-il pour ne pas froisser les courants islamistes dont il est proche?

Par Faik Henablia *

Dans l’une de ces sorties dont il a le secret, tant elles tranchent avec l’image confuse que projette le personnage, lors d’un discours à l’occasion d’une célébration antérieure de la journée de la femme, Kaïs Saïed avait émis l’opinion qu’un Etat ne peut avoir de religion, ajoutant, sous forme de boutade, que cela signifierait dans le cas contraire que des États pourraient aller en enfer et d’autres au paradis.

Même si, cultivant l’ambiguïté, le président s’était empressé par la suite et au cours du même discours, de se reprendre en affichant son oppsition à l’égalité homme femme en matière d’héritage, cette opinion mérite que l’on s’y arrête, malgré quelque scepticisme quant à la suite qui y sera donnée, tant les liens entre Kaïs Saïed et la famille de l’islamisme politique sont évidents..

La constitution tunisienne de 2014 stipule bien dans son article premier : «La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la république son régime. Le présent article ne peut faire l’objet de révision».

Au-delà de l’ambiguïté quant au point de savoir si la religion est celle de l’Etat ou celle de la Tunise, remarquons, au passage, la prétention et l’arrogance des rédacteurs, qui n’entendaient, ni plus ni moins, qu’interdire aux générations futures toute révision du texte. 

L’influence des islamistes dans le constitution de 2014

L’actualité récente vient en tout cas, d’apporter un formidable camouflet à cette prétention, puisqu’il est dans l’intention du nouveau pouvoir de réviser la constitution, voire de la remplacer. 

Sans préjuger de la procédure que suivra cette entreprise, ni émettre d’opinion sur sa légitimité, rien n’exclut sur le fond, que la question de la suppression de cette disposition soit sur le tapis et ceci pour au moins deux raisons… 

La première est que l’idée même qu’un État ou qu’une entité ait une religion est absurde. L’Etat, en sa qualité de personne morale, possède, certes, la personnalité juridique en vertu de laquelle il détient des droits et des obligations propres, mais ne peut avoir de foi. Car si tel était le cas, quelle serait, alors, la religion d’autres personnes morales telles que le gouvernorat de l’Ariana, par exemple, la Sonede ou l’Espérance sportive de Tunis?

La religion est le fait de personnes physiques, non de personnes morales. A-t-on vu l’Etat tunisien faire ses ablutions et prier, jeûner ou faire le pèlerinage à la Mecque? Et puis, ainsi que se le demande le président, quelle conséquence dans l’au-delà en cas de transgression? Les Tunisiens sont, individuellement, musulmans, juifs, chrétiens ou athées, mais en aucun cas l’Etat. 

La raison pour laquelle une telle vision des choses avait prévalu lors de la rédaction de la constitution de 1959 est que les constituants ne voulaient pas heurter les mentalités de l’époque. Mais 55 ans plus tard, la constitution de 2014 aurait pu corriger les choses, n’eut été l’influence islamiste.  

La confusion entretenue entre la constitution et la charia

La seconde raison est que cette disposition est source de ségrégation intolérable et indigne d’un Etat de droit moderne, car l’un des corollaires de l’article premier est l’article 64 de la même constitution stipule ceci : «La candidature à la présidence de la république est un droit reconnu à toute électrice ou tout électeur de nationalité tunisienne par la naissance et de confession musulmane». Est-il acceptable, en effet, qu’un Tunisien de confession autre que musulmane soit empêché, de ce seul fait, de postuler à la présidence de la république?

Le fait est que plusieurs autres dispositions, non seulement constitutionnelles mais aussi du droit positif, tout aussi attentatoires à la liberté et à l’égalité, découlent directement de l’article premier de la constitution ainsi que de la confusion, volontairement entretenue avec la charia. 

ll faudra bien, un jour, faire l’inventaire, en vue de les supprimer, de ces prescriptions canoniques, tant il est vrai qu’elles constituent un rempart face à l’évolution. Est-il acceptable que la jouissance de certains droits soit interdite du seul fait d’être musulman? Or ceci n’est rendu possible que par de telles dispositions constitutionnelles. 

D’aucuns objecteront que des Etats occidentaux au caractère démocratique incontestable  sont également dotés d’une religion officielle. Certes, mais il s’agit surtout de réminiscences quasi symboliques et de façade, sans aucune conséquence pratique et n’aboutissent jamais aux anomalies citées plus haut. La religion anglicane de la couronne britannique n’a jamais empêché des citoyens de confession juive d’être premiers ministres.

Si la Tunisie a eu la grosse infortune de voir son destin basculer des mains d’une secte arriérée à celles d’un pouvoir absolu, à quelque chose malheur peut, cependant, être bon, dans la mesure où le président, aux pouvoirs désormais exclusifs, peut en faire usage pour mettre sa vision en pratique et débarrasser le pays de l’une de ces dispositions moyenâgeuses qui entravent sa marche en avant.

Mais le fera-t-il ou se dégonflera-t-il pour ne pas froisser les courants islamistes dont il est proche?

* Docteur d’Etat en droit, ex-gérant de portefeuille associé.

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