Les versions données par Carthage et l’Elysée du contenu de l’appel téléphonique, samedi 22 janvier 2022, entre le président Kaïs Saïed, et le président Emmanuel Macron, traduisent, par leurs différences même, l’impression qu’en ont gardée les deux chefs d’Etat ou les messages qu’ils ont voulu transmettre ou… retenir.
Par Imed Bahri
Tout en se félicitant de l’annonce par le président tunisien du calendrier de la nouvelle phase de transition ouverte par les «mesures exceptionnelles» du 25 juillet dernier, le président français a encouragé son homologue à conduire celle-ci «dans le cadre le plus inclusif possible», selon les termes du communiqué de l’Elysée.
Carthage rejette la démarche inclusive préconisée par l’Elysée
C’est là, on l’a compris, un appel clair au président tunisien de faire participer les différents partis à la conception et à la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles projetée. Or, M. Saïed, qui rejette formellement cette démarche «inclusive», préfère mettre en route sa fameuse consultation nationale numérique, prélude à un référendum populaire, dont le but est on ne peut plus clair : contourner les partis sinon les exclure de la dynamique en cours. Aussi Carthage est-il resté «sourd» à cette exhortation de l’Elysée, qui semble soucieux de voir les réformes projetées en Tunisie recueillir le plus large consensus national possible.
Le président Saied a voulu expliquer à son homologue français que plusieurs partis «opposés à la démocratie, à la liberté et à la justice» répandent des mensonges «contre de grosses sommes d’argent», dans le but de «nuire à la Tunisie et au peuple tunisien», dans une allusion limpide aux partis d’opposition critiquant – ce qui est leur rôle – l’accaparement des pouvoirs par un hyper-président, qui rejette toute forme de dialogue avec ceux qui ne sont pas de son avis.
Le chef de l’Etat tunisien a également indiqué à son homologue français que les réformes annoncées visent à préserver la liberté, à faire respecter la justice et à s’opposer à tous ceux qui ont pillé l’argent du peuple, comme l’indique le communiqué de la présidence tunisienne. Et il ne faut pas être grand clerc pour identifier ceux «qui ont pillé l’argent du peuple» : ce sont, bien entendu, tous les opposants à M. Saïed, et même certains de ses partisans qu’il refuse d’écouter lorsqu’ils l’alertent sur ses errements politiques.
Carthage élude l’urgence économique soulignée par l’Elysée
Sur un autre plan, la déclaration de l’Elysée rapporte que lors de l’appel téléphonique, Emmanuel Macron a encouragé Kaïs Saïed à mettre en œuvre «un programme de réformes nécessaires pour faire face à la crise économique que traverse la Tunisie», tout en soulignant que «la France était prête à apporter son aide», laissant entendre ainsi que la France s’inquiète de la situation financière et économique désastreuse de la Tunisie, pays surendetté, au bord de la cessation de paiement, et qui sollicite encore les bailleurs de fonds internationaux, dont l’Union européenne, présidée actuellement par la France, pour boucler son budget pour l’actuel exercice.
Cet aspect a cependant été complètement éludé par le communiqué du palais de Carthage, où cette urgence économique à laquelle fait face la Tunisie ne fait pas partie des priorités du président Kaïs Saïed.
Le chef de l’Etat a, en effet, une fâcheuse tendance de penser que l’économie peut toujours attendre, que ce secteur, qu’il méconnaît totalement, n’est pas de son ressort, alors qu’il a accaparé tous les pouvoirs et réduit les membres du gouvernement Najla Bouden au statut de simples exécutants sans véritable pouvoir de décision.
La posture du Zorro qui lutte contre la corruption, défend les intérêts des pauvres contre la voracité des riches et vitupère contre les spéculateurs ne saurait tenir lieu de politique économique. Et la parole populiste peut aider à gagner des élections, mais pas à redresser l’économie d’un pays comme la Tunisie où la croissance est bloquée depuis dix ans.
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