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Le recours aux chasseurs de primes est-il envisageable en Tunisie?

Et si, pour aider la police et la justice à débusquer et à faire arrêter les truands et les criminels, on recourait en Tunisie à des professionnels de la traque, les fameux chasseurs de primes qui ont fait leurs preuves sous d’autres cieux? Ce sont souvent des enquêteurs privés, des officiers de police, des militaires et des professionnels de la justice et de l’application des peines à la retraite. Cela n’aiderait-il pas à réduire le sentiment d’insécurité qui règne actuellement dans le pays?

Par Mohsen Redissi *

Le cinéma américain et en moindre importance le western spaghetti ont donné à la profession de chasseur de primes ses lettres de noblesse. Le bon, la brute, le truand, le taciturne, le fumeur de pipe, le maniaque, l’impitoyable… que d’attributs collés aux personnages et campés par des comédiens mythiques.

Aux Etats-Unis et aux Philippines, la chasse à l’homme est tout à fait légale, étroitement surveillée et réglementée. Et aux States, seuls quatre Etats sur cinquante (Kentucky, Wisconsin, Oregon et Illinois) interdisent ce genre de pratique.
Mais la profession est encadrée par une législation rigoureuse qui établit les règles pour éviter tout dérapage. Une licence, un local pour y exercer son activité sont les premières exigences. Le permis de port d’armes est une protection légale dans le cas où le chasseur de primes serait contraint d’en faire usage pour se défendre.

Par ailleurs, et toujours aux States, le chasseur de primes peut recruter au sein de son équipe des avocats, des huissiers, des notaires… pour lui fournir assistance et conseils juridiques nécessaires pour éviter d’enfreindre la loi qu’il essaye de faire respecter.

Peut-on mettre en place ce système en Tunisie ?

L’insécurité qui règne dans le pays de la révolution du jasmin en Tunisie en 2011 pousse à l’inquiétude. La plupart des attaques terroristes et les grandes affaires de mœurs sont l’œuvre de délinquants multi récidivistes que le bras long de la justice n’a pas toujours réussi à atteindre. Certains ont à leur actif plus de 30 mandats d’arrêt. Si le dossier judiciaire de ces individus est aussi précis et volumineux, pourquoi les chances d’en attraper sont-elles si minces ? Comment font-ils pour mener leurs attaques et passer impunément entre les mailles du filet de la justice? Manque de moyens? Ou manque d’enthousiasme? Les deux à la fois. Les forces de l’ordre ont d’autres chats à fouetter.

Le pays a déjà franchi le pas. la Loi n° 98-4 du 2 février 1998 relative aux sociétés de recouvrement des créances fixe les modalités et les dispositions aux nouvelles sociétés pour exercer leurs activités en toute quiétude. Des commerçants et des particuliers sont mis en difficulté financière ou jetés en prison pour cause de non-paiement.

La nature des opérations n’est certes pas la même, aucune commune mesure. Appréhender un criminel n’est pas aussi simple que saisir une voiture, mais on n’a jamais vu quelqu’un se faire délester de sa voiture ou de son bien le plus cher sans aucune résistance. Les procès verbaux des saisies attestent de la violence des échanges.

Consacrer les efforts de l’Etat au maintien l’ordre

Les forces de l’ordre toutes confondues sont submergées, occupées à traquer des terroristes qui ont fait des montagnes leurs camps d’entraînement, leurs champs de bataille et leur base arrière. Les mines anti-personnelles traditionnelles ont dissuadé les plus téméraires de nos forces armées. Les bergers et les femmes à la recherche de bois de chauffe sont leurs premières victimes. La contrebande sur de larges parties des frontières maritimes et terrestres complique davantage leurs affaires et coûte beaucoup d’argent à l’Etat, ne fut-ce que par les recettes fiscales qui s’évaporent ainsi.

L’Etat ne doit-il pas se décharger des opérations de récupération des recherchés et des fugitifs ou doit-il se faire aider afin de consacrer ses efforts et ses effectifs aux opérations de maintien l’ordre et de la lutte contre les menaces terroristes ? Ne réduit-il pas ainsi les risques de fuite ou d’infiltration?

A chaque fois, une logistique énorme est nécessaire pour coordonner une descente qui reste une mission de routine pour un chasseur de primes chevronné. Compte tenu de la sensibilité des informations, ce dernier s’engage à garder sous scellés les dossiers et d’agir à chaque étape en toute discrétion et avec métier.

Le mandat d’amener suffit au chasseur de primes pour aller récupérer son butin. Il peut entrer sans sommation dans n’importe quel endroit que le fuyard a choisi comme cachette et intervient sans l’autorisation des autorités locales. Il ne tremble pas devant le danger, mettre aux arrêts est son gagne-pain.

Enquêteurs privés, officiers de police, militaires, professionnels issus de la justice et de l’application des peines à la retraite est la catégorie reine qui répond au mieux au profil idéal du chasseur de primes, une catégorie formée dans le respect de la loi et des individus.

Après les attentats terroristes qui ont frappé l’Occident, plusieurs pays se sont rabattus sur les déradicalisés pour se fournir en matière grise pour comprendre la mentalité des terroristes et renverser l’équilibre. Qui mieux qu’un repenti pour suivre les traces d’un ex-compagnon d’armes ?

La coopération de la population n’est pas la panacée

L’Etat, à court d’échappatoire, utilise les médias pour une traque totale. Le ministère de l’Intérieur lance de temps en temps des avis de recherche ou d’alerte contre des individus armés et dangereux, appelle la population à la vigilance et l’invite à coopérer dans la recherche. Tout le monde est appelé à y participer. Le citoyen tunisien est invité à devenir un indicateur et un agent de la sûreté.

Cependant, le taux de participation est faible car la peur des représailles et des expéditions punitives tiraillent toujours le ventre de ceux qui osent défier les délinquants. Les plus téméraires ont payé de leur vie. Beaucoup ont eu la gorge tranchée, un signal fort pour ceux qui osent traiter avec le pouvoir. Seul le professionnel est capable de jouer égal à égal avec les terroristes et les repris de justice.

Le coût exorbitant en nature et en vies humaines a poussé l’Etat américain à laisser la capture de petites frappes aux chasseurs professionnels. L’Uberisation de l’activité d’arrestation des truands s’est révélée des plus efficaces. Le taux de criminalité reste constant sur tout le territoire. La justice et le cautionnaire sont sûrs de revoir l’accusé se présenter devant la cour. Quant aux repris de justice, ils ont toujours la peur au ventre. Des yeux de lynx à chaque coin de rue recoupent les traits des visages avec leurs press-books et les avis de recherche des têtes mises à prix.

* Fonctionnaire international à la retraite.

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