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Tunisie – Ennahdha : Six questions sans réponses

Le «cancer islamiste» à l’assaut de la Tunisie en plusieurs questions restées sans réponse.

L’auteur pose des questions pertinentes et légitimes. Pourquoi sommes-nous tous passés à côté? Le délire pseudo-révolutionnaire post-14 janvier n’explique pas tout. En d’autres termes, nous sommes tous un peu complices des crimes commis par Ennahdha… Complices par étourdissement, par omission, par amnésie volontaire, par laisser-aller ? C’est un peu tout ça à la fois…

Par Samir Gharbi

Nul n’est au dessus de la Loi ? Les Tunisiens entendent cette profession de foi, proclamée par le Président de la République, depuis plus de six mois.

Ce vœu pieux me rappelle une citation célèbre de George Orwell, dans son conte satirique « Animal Farm » (1945) : «Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres», adage qui s’applique à plusieurs pays, sinon tous, et pas seulement à la Tunisie…

Ce qui bloque les progrès dans un pays, dans une vie, c’est l’incapacité ou le refus de donner une réponse à des questions fondamentales.

Voici six questions que d’aucuns Tunisiens se posent encore sur des faits postérieurs au 14 janvier 2011:

  1. Qui a permis à Rached Ghannouchi, jugé et condamné par contumace, de rentrer « légalement » en Tunisie comme dans un moulin le 30 janvier 2011 ?

Pour mémoire : Rached Ghannouchi a fui clandestinement la Tunisie le 25 mai 1989 via l’Algérie. De là, il s’était rendu à Khartoum où son «frère» Hassan al-Tourabi, chef des islamistes soudanais, lui délivre un passeport soudanais afin qu’il puisse se rendre en Europe. Il débarque à Paris puis se rend à Londres où il obtient l’asile politique. Le 17 février 1991, un attentat meurtrier islamiste frappe le siège local du parti RCD en plein Tunis. Rached Ghannouchi, entre autres, est condamné par contumace, le 28 août 1992, à la prison à vie. Le 30 janvier 2011, il débarque à Tunis et passe la frontière sans être inquiété, contrairement aux formalités légales qui s’imposent en la matière à tout Tunisien condamné par la justice… Aucun juge n’a levé le petit doigt, aucun dirigeant n’a osé rappeler que la Tunisie est un Etat de droit. Si c’était un tunisien lambda, il serait passé  par la case prison, ou pour le moins par un juge qui aurait statué sur son sort et remis en liberté.

  1. Qui a permis la légalisation du parti Ennahdha le 1er mars 2011 ?

Pour mémoire : Le parti islamiste Ennahdha n’a jamais été autorisé en Tunisie dont la loi sur les partis interdit l’usage de la religion dans son programme politique. Il a démarré ses activités clandestines dans les années soixante-dix et a révélé son existence, au public, en juin 1981 sous le nom de MTI (Mouvement de la tendance islamique). Il a milité dans la clandestinité d’abord pacifiquement, puis en recourant à la violence armée. Il a été accusé d’avoir commis plusieurs attentats (notamment en 1987 à Sousse et Monastir). Plusieurs de ses militants ont été torturés, condamnés et emprisonnés avant d’être libérés et graciés, y compris Rached Ghannouchi, par le président Zine El-Abidine Ben Ali. Le MTI a changé simplement de nom afin de participer aux élections législatives (avril 1989) sous la bannière «mauve » (faux indépendants), mais il n’a pas été légalisé. Après la chute de Ben Ali, il sera toléré en janvier 2011 et légalisé le 1er mars 2011 alors que la loi qui interdit l’usage de la religion en politique était toujours en vigueur… Qui a validé et signé cette légalisation sans justification ? Par ce miracle, Ennahdha ainsi que les partis «frères» qui ont été autorisés par la suite utilisent la religion musulmane à des fins personnelles et idéologiques.

  1. Pourquoi, comment et qui a décidé, début mars 2011, que la République et sa Constitution de 1959 étaient devenues obsolètes et qu’il fallait tout reprendre à zéro ?

Pour mémoire : Le Premier ministre Béji Caïd Essebsi, sorti le 27 février 2011 d’une retraite paisible, l’avait proclamé le 4 mars. Le Président par intérim, Fouad Mebazaa, a signé le décret-loi du 23 mars 2011, qui ordonne la dissolution de quatre institutions fondamentales (Assemblée nationale, Sénat, Conseil économique et social et Cour constitutionnelle). Cette mesure marque, selon moi, le début de la Décennie noire et de l’opération «détruire l’Etat moderne tunisien de l’intérieur» sous couvert de démocratie… Parce qu’ils ont été jugés «non conformes» à la religion telle qu’enseignée par la secte des Frères musulmans. Les Tunisiens, encore abasourdis par les «clameurs» du 14 janvier et craignant les «justiciers» improvisés de la Révolution, n’ont rien vu venir… Mais comment la décision d’abattre les institutions sur lesquelles reposent l’Etat a-t-elle été prise et par qui ? Il y a les quatre corps constitués déjà cités, mais il y a aussi d’autres organes de sécurité qui ont été balayés ou mises au pas. Seule l’Armée a échappé à cet autodafé. Heureusement, car les Tunisiens ne savent pas ce qu’ils seraient devenus sans cette Armée républicaine, et qui demeure, à ce jour, le dernier rempart des Tunisiens non inféodés à l’islamisme complètement étranger aux traditions de ce pays.

  1. Comment le parti Ennahdha a-t-il pu acquérir en mars 2011 l’immeuble de Montplaisir dans le quartier d’affaires à Tunis ?

Pour mémoire : Un mois après son retour à Tunis, Rached Ghannouchi parvient à acquérir un immeuble situé au centre de la capitale, un des quartiers d’affaires les plus chers de Tunis, créé en 2009 et surnommé Montplaisir. On sait peu de choses sur le propriétaire initial de cet immeuble. Avant l’arrivée d’Ennahdha, le bâtiment aurait été occupé – en location – par la société Tunisie Télécom. Quel était le vendeur ou le bienfaiteur ? Il a été acheté à quel prix ? Par qui ? Pour le compte de qui ? Si c’est pour le compte de Ghannouchi ou de son parti, par quel miracle divin ont-ils pu lever les fonds pour financer une telle acquisition en quelques semaines ? Comment ensuite ont été financés les travaux de rénovation et de rééquipement (dont un réseau local de télécommunications flambant neuf) ? Le parti Ennahdha n’a rien publié à ce sujet depuis l’entrée officielle de son staff dans les bureaux de Montplaisir le 29 avril 2011. Seuls les intermédiaires (notaires, avocats), les banques et les administrations – financière, foncière et fiscale, le savent, donc l’Etat le sait, mais il se tait. Or, les citoyens – si on les respectait – auraient dû le savoir, au titre de la transparence imposée par la loi à tous partis.

  1. Pourquoi l’attaque subie par le Drapeau tunisien, le 7 mars 2012, est-elle restée impunie ?

Pour mémoire : je me souviendrai toute ma vie, de même, je crois, pour la majorité des Tunisiens, de cet acte commis par les sbires de l’islamisme à l’université de la Manouba le 7 mars 2012. L’un d’entre eux a escaladé le bâtiment et a ôté le drapeau rouge et blanc de la Nation pour hisser le drapeau noir de Daesh… Une étudiante, une seule, a eu le courage de sa vie pour s’interposer. Pas un homme ! Cet acte était une déclaration de guerre ouverte contre l’Etat séculaire tunisien. Mais la femme libérée a bougé alors que l’Etat s’était tu, puis l’acte a fini par être banalisé… Hélas, l’auteur, ses complices et ses commanditaires sont restés impunis. L’honneur de l’Etat («haybet et-dawla») a été touché dans son cœur.

  1. Qui a autorisé l’entrée du chef officiel des frères musulmans,Youssef El Qaradaoui, sur le territoire tunisien le 3 mai 2012 ?

Pour mémoire : Le prédicateur islamiste d’origine égyptienne, naturalisé qatari, a pu entrer en Tunisie sans aucune annonce officielle préalable… Les Tunisiens ont été surpris de le voir débarquer à Tunis-Carthage et accueillis par les grands pontes de l’islamisme tunisien et une foule en délire. Pourtant ce personnage était condamné pour terrorisme en Egypte et recherché par Interpol à la demande du Caire. Il a pu, en quatre jours, parcourir la Tunisie en toute liberté pour diffuser sa «prédication». Le parti Ennahdha a déployé des moyens considérables pour assurer son séjour et les moyens de transport nécessaires à la mobilisation de ses troupes afin de suivre ses «prêches» partout, de Tunis à Gabès, en passant par Radès, Kairouan, Sousse… Aucun responsable de l’Etat n’a bougé. Il est vrai, disent-ils, que le pays assure la liberté, pour tous, y compris les recherchés par la justice d’un pays ami !

Ces six questions, parmi des centaines, ne méritent-t-elles pas une réponse des autorités de la Tunisie nouvelle ? Après le changement du «25-Juillet-2021» ne dit-on pas qu’Ennahdha a perdu ses pouvoirs ? Et pourtant, rien ne se passe vraiment à part quelques mesures bien timorées. Il faut rendre à Abir ce qui est à Abir. Et je me dois de reconnaitre qu’Abir Moussi est le seul leader politique de l’opposition, à pointer le danger sans scrupule et à se battre seule, bec et ongles, au péril de sa vie, contre les agissements, les compromissions et les alliances louches du parti islamiste.

Pourquoi, autres questions non mineures, les enquêtes sur les corrompus du régime Ben Ali ont-elle été sélectives ? Quelques uns ont certes été jugés, mais les plus puissants et les mieux avisés ont pu s’enfuir sinon restés au pays après avoir conclu des compromis tenus secrets.

Pourquoi les enquêtes judiciaires sur les services secrets attribués à Ennahdha sont toujours renvoyées aux Calendes grecques ? De même pour les enquêtes sur le réseau « d’exportation » des recrues tunisiennes du Jihadisme mondial…

Pourquoi les enquêtes sur les actes terroristes et les assassinats, commis en Tunisie, et supposés être d’inspiration islamiste, ne sortent pas des méandres de la Justice ?

Pourquoi, plus récemment, l’enquête judiciaire ouverte « immédiatement »sur le « suicide » d’un militant du parti Ennahdha est-elle passée sous silence ? Sami Sifi, qui s’est immolé par le feu le 10 décembre 2021, au sein du siège de Montplaisir, s’est-il suicidé oui ou non ? Et pour quelles raisons ? Il faudrait une volonté inébranlable, une main de fer et des juges incorruptibles du genre Eliot Ness pour venir à bout de ces questions. L’essentiel est de montrer la voie, en le disant, en agissant.

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