L’agence de notation Fitch Ratings a abaissé «la note de défaut émetteur à long terme en devises de la Tunisie de ‘ B-’ avec perspectives négatives à CCC». Traduisons : en termes simples, cela veut dire que la situation économique et financière de notre pays se trouve à un petit cran au-dessus de l’irréversible cataclysme. Tout le monde le craignait, tout monde le disait et tout le monde le répétait, depuis un bon bout de temps, mais nos décideurs ont, à chaque fois, choisi d’enfouir la tête dans le sable. Vous connaissez la légende de l’autruche qui a peur ?…
Par Moncef Dhambri
Plantons, ensemble, le décor de cette tragédie tunisienne à laquelle nous pourrions donner le titre : ‘La Tunisie ou le pays qui a raté toutes ses chances’. Je sais, ça peut vous sembler un peu trop sévère, pessimiste. Mais, ne dit-on pas «qui aime bien, châtie bien» ? Comme vous, j’aime mon pays et je ne lui veux que du bien, le plus grand bien –je vous parlerai plus bas de ceux d’entre nos compatriotes qui le haïssent et font tout pour qu’il s’enfonce, comme on est en train de le constater chaque jour.
Nous avons eu tout faux, du début jusqu’à la fin
Plantons le décor, disais-je plus haut : en 2011, Ben Ali nous «a compris» –avec retard !– et il a déguerpi; nous avons cru prendre notre destin en main; et nous nous sommes trompés sur tout, sur toute la ligne.
Pour la faire courte, je dirai que nous avons fait confiance aux hypocrites d’Ennahdha parce qu’«ils craignent Dieu», qui nous ont imposé un tartour (marionnette), Moncef Marzouki, pour être le premier président de notre IIe République, nous avons élu au suffrage universel un deuxième président, Béji Caïd Essebsi, qui non content de remettre en selle Ennahdha, a permis à son fils de magouiller comme il le voulait, et nous avons plébiscité un troisième, Kaïs Saïed, qui ne sait que faire joujou avec la Constitution et les textes de loi –et rien d’autre, absolument rien d’autre ! D’ailleurs, même dans le domaine de sa spécialité, il n’est pas aussi brillant que cela… Mais là n’est pas notre propos, aujourd’hui…
Je résume, donc : nous avons eu tout faux du début (le 14 janvier 2011) jusqu’à la fin (le 19 mars 2022); et, entre les deux, nous avons formé une bonne dizaine de gouvernements –peut-être même plus, je ne sais plus– tous incompétents, nuls, prétentieux, infréquentables…
J’enfonce un autre clou, dans le cercueil de notre agonisante Tunisie: immatures comme nous sommes, nous ferons et referons les mêmes erreurs, les mêmes conneries –excusez cet écart de langage d’un septuagénaire qui en a gros sur la patate et qui a eu tort de croire en cette p****n de révolution.
Revenons, donc, à la note de Fitch Ratings. Avec mes modestes connaissances de titulaire d’un bac’ lettres, j’ai cru comprendre que la note CCC accordée hier, vendredi 18 mars 2022, à notre pays par cette agence de notation financière est « l’une des plus mauvaises », que notre pays est « vulnérable » et que sa capacité à faire face à ses engagements financiers est presque nulle… Bref, notre pays n’intéresse plus les investisseurs nationaux et internationaux, car il est sujet à un risque de crédit.
En attendant la prochaine humiliation…
Vous en voulez plus ? Eh bien, je vous sers une autre gorgée de mon poison : le monde nous tourne le dos ; il regrette d’avoir cru en nous et notre « printemps » et à notre prix Nobel de 2015 ; le monde reprend ses billes ; il nous abandonne ; il nous laisse à notre Chevalier d’El-Mnihla, à sa démocratie participative, sa « construction à partir de la base » ; il nous laisse au « peuple [qui] veut » pour démolir le petit peu qui reste de notre Tunisie.
Le verdict de Fitch Ratings est confirmé par les autres grandes agences internationales de notation, Standard & Poor’s et Moody’s : elles s’accordent toutes pour dire, selon l’expression la plus usitée dans notre pays depuis la révolution, que « la Tunisie va droit dans le mur ». En réalité, la situation est pire que cela : aujourd’hui, nous sommes de l’autre côté du mur, alors que le Palais de Carthage nous parle de sa consultation populaire, de son référendum et de ses législatives anticipées.
D’ailleurs, M. Saïed, Mme Bouden et leur équipe gouvernementale de béni-oui-oui n’ont toujours pas réagi à ce carton rouge de Fitch Ratings.
On croit deviner la réponse de notre Oumar ibn al-Khattab national. Il balaiera d’un revers de la main « cette connerie d’Oummek Sannafa ». Et ce sera tout ce qu’il dira et répètera jusqu’à l’humiliation prochaine, tels qu’une autre mauvaise note ou le passage obligatoire devant les clubs de Paris et de Londres. Ce jour-là, on lavera devant les caméras du monde entier le linge sale de notre pays.
Regardons-nous dans la glace et reconnaissons nos erreurs. La Tunisie est le mauvais élève des agences de notation, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, tout simplement, parce qu’elle a mal choisi ses dirigeants. Notre pays n’est pas le souffre-douleur de ces institutions internationales. C’est nous qui, par myopie, masochisme et autres tares, nous infligeons toutes nos souffrances.
C’est nous qui nous obligeons, chaque jour de la semaine, de regarder sans broncher le locataire du Palais de Carthage exécuter ses numéros de prestidigitation constitutionaliste. C’est nous qui l’écoutons sans piper nous raconter ses salades sur la souveraineté nationale et sur « les milliards de milliards » que la Tunisie possède… C’est nous, également, qui avons remarqué que le Chevalier d’El-Mnihla a pris du ventre, sans dire un mot. C’est nous, c’est nous.
Un peuple a les « magiciens » qu’il mérite…
* Universitaire à la retraite et journaliste.
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