Kaïs Saïed rêve de fonder une «nouvelle république», plus démocratique et plus juste, mais on ne comptera pas sur lui pour provoquer la révolution dans les esprits et dans les lois susceptible de rétablir les femmes, qui représentent la moitié de la société, dans leurs droits légitimes à l’égalité totale et sans exclusive devant la loi, comme dans toute «vraie» république.
Par Ridha Kefi
Selon des statistiques préliminaires, les filles sont presque deux fois plus nombreuses que les garçons parmi les candidats reçus au concours national du baccalauréat 2022. On retrouve le même taux chez les garçons… mais parmi les recalés.
A l’université, ce sont les filles qui brillent également davantage que les garçons et sont beaucoup plus nombreuses que leurs camarades mâles parmi les diplômés. Et en Tunisie, cela dure depuis au moins une trentaine d’années.
Cependant, et selon les chiffres de l’emploi, les filles sont deux fois moins nombreuses que les garçons à intégrer le marché de l’emploi et sont, très souvent, plus bûcheuses, moins absentéistes mais moins bien rémunérées que leurs collègues de l’autre sexe. Elles sont moins nombreuses aussi à accéder aux postes de responsabilité.
Une ségrégation diffuse
Comment expliquer ce paradoxe dans un pays qui a très tôt misé sur l’émancipation des femmes et qui a fait d’énormes progrès sur la voie de la généralisation de l’enseignement ?
Les causes de cette «injustice» sont nombreuses. Elles sont essentiellement d’ordre social et tiennent à une ségrégation diffuse que l’on retrouve dans tous les aspects de la vie où les femmes doivent faire preuve de plus d’abnégation, d’effort et de détermination pour espérer se frayer un chemin en société et dans la vie publique, encore fortement dominée par la gent masculine.
Pour ne rien arranger, cette «injustice» est banalisée, normalisée voire légalisée par des lois d’un autre âge qui, en dépit des apparences et des postures vaguement égalitaires ou progressistes des dirigeants politiques, continuent de brimer la moitié de la société et de la priver des moyens de l’épanouissement personnel, professionnel et social. On en veut pour preuve la lâcheté qui caractérise les décisions de ces dirigeants à chaque fois qu’ils sont sommés de passer des paroles aux actes pour concrétiser leur égalitarisme de façade.
La question de l’égalité des femmes et des hommes dans l’héritage a été, en Tunisie, depuis la promulgation du Code de statut personnel, en 1956, l’un des révélateurs de cette lâcheté, puisque ni Habib Bourguiba, ni Zine El-Abidine Ben Ali ni Béji Caïd Essebsi, qui en eut pourtant la tentation au début de son mandat, n’ont été capables de satisfaire cette revendication portée par plusieurs générations de femmes et d’hommes. Leur successeur au palais de Carthage, Kaïs Saïed, grand conservateur devant l’Eternel, n’a même pas tenté de reprendre le processus où l’ont laissé ses prédécesseurs.
Un conservatisme assumé
Ce professeur de droit constitutionnel, un islamiste avançant masqué selon certains analystes, a, dès son accession au palais de Carthage, fermé la porte au nez des militantes féministes. Il n’y aura pas d’égalité dans l’héritage entre la femme et l’homme, en tout cas pas sous son mandat, car le Coran est formel à ce sujet : la part de la femme équivaut à la moitié de celle de l’homme, a-t-il argumenté, comme si les lois civiles en Tunisie étaient tirées de la charia islamique. Chassez la religion, elle revient au galop !
Il a d’ailleurs choisi la célébration de la fête nationale de la femme, le 13 août 2020, pour donner son avis sur cette question. «Instaurons d’abord une égalité entre les femmes et les hommes concernant les droits sociaux et économiques. La révolution a éclaté et les Tunisiens se sont sacrifiés pour la liberté et la dignité. Aussi, le Coran est clair à ce sujet et, en islam, le système de l’héritage n’est pas basé sur une pseudo égalité formelle, mais sur le principe de la justice», a dit, lui l’homme de droit, comme si
en précisant que chacun est libre et que la relation entre les membres d’une même famille n’est pas comparable à celle entre les citoyens. Les islamistes, qui avaient en majorité voté pour lui au second tour, d’où son score astronomique de 73%, ont beaucoup apprécié cette sortie.
Circulez, chères dames, il n’y a rien à voir !
On l’a compris, ce n’est pas Kaïs Saïed, qui rêve pourtant de fonder une «nouvelle république», qui provoquera la révolution dans les esprits et dans les lois qui rétablira la moitié de la société dans ses droits légitimes à l’égalité totale et sans exclusive devant la loi.
On a d’ailleurs bien remarqué que le locataire du palais de Carthage, quand il parle de droit, utilise rarement le terme d’égalité, trop arithmétique à son goût, et lui préfère celui, plus vague, de justice, qui a une connotation morale et religieuse.
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