En engageant la Tunisie dans une crise diplomatique avec les Etats-Unis, le président de la république, Kaïs Saïed, ne sait-il pas que cette inutile gesticulation, si elle peut doper sa popularité (l’antiaméricanisme est toujours porteur dans le monde arabe), est une bataille perdue d’avance, pour lui, cela va de soi, mais aussi pour la Tunisie, et c’est plus grave, car cela laissera des traces ?
Par Nebil Maghraoui *
En donnant instruction à son ministre des Affaires étrangères de convoquer la chargée d’affaires des Etats-Unis Natasha Franceschi, vendredi 29 juillet 2022, Kaïs Saïed entre dans un processus risqué et qui peut être lourd de conséquences pour notre pays.
Je vais m’expliquer à partir d’une anecdote qui m’a été rapportée par mon ami et voisin Taïeb Slim (ex-président d’honneur de la Saydia Sport) paix à son âme.
À l’époque, les années 89/90, feu Taïeb Slim, alors conseiller diplomatique du président de la république avec rang de ministre, avait été chargé par feu Zine El Abidine Ben Ali de rédiger une note de protestation (مذكرة احتجاج) destinée aux États-Unis à cause des fréquentes visites des responsables d’Ennahdha au département d’État (ministère des Affaires étrangères américain)… et la courtoisie et la chaleur de l’accueil à chaque visite.
Ben Ali, bien conseillé, ronge ses freins
En diplomate chevronné et en grand technicien des Affaires étrangères feu Taïeb Slim informa le président Ben Ali que «les Américains reçoivent et discutent même avec le diable quand il le faut et quand il s’agit de leurs intérêts» et que l’on peut rédiger la note de protestation sans aucun problème mais qu’il le lui déconseillait car en envoyant une note de protestation c’est entamer un processus qui s’échelonne sur plusieurs étapes (convocation de l’ambassadeur aux Affaires étrangères puis rappel de notre ambassadeur) et qui peut aller jusqu’au gel des relations voire la rupture des relations diplomatiques puisque les Américains ne reculeront pas. Entrer dans ce processus serait donc infructueux. Feu Taïeb Slim avait ainsi convaincu le président de l’époque de ronger son frein.
Aujourd’hui, Kaïs Saïed a fait le choix de la fuite en avant avec les Américains. S’il croit ainsi les rappeler à l’ordre, il se trompe. Ils ne reculeront pas et il s’engage ainsi dans un bras de fer perdu d’avance avec la première puissance mondiale et un pays qui est bien plus qu’un partenaire important de la Tunisie, un partenaire vital.
Une autre bataille perdue d’avance
Malheureusement, il a un très mauvais ministre des Affaires étrangères complètement soumis qui ne le conseille pas suffisamment bien en tant que diplomate de carrière mais qui ne fait qu’exécuter sans brancher ce que lui dit son président.
Déjà que sa Constitution – par la manière avec laquelle il l’a élaborée et par son contenu ô combien discutable – l’a complètement isolé sur la scène internationale (on s’en rend compte en lisant toutes les critiques de nos partenaires et de la presse internationale), il s’offre aujourd’hui une crise diplomatique avec les États-Unis. Cette posture populiste peut gonfler sa popularité (l’antiaméricanisme est toujours porteur dans le monde arabe) mais c’est une bataille perdue d’avance.
Chef d’entreprise.
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