Tunisie : Que veut dire Saïed par «éloigner les étudiants et chercheurs des calculs politiques» ?

 Le vendredi 5 août 2022, lors de la cérémonie officielle de la Journée du Savoir, Kaïs Saïed a cité la nouvelle constitution approuvée par référendum le 25 juillet 2022 qui prévoit la création d’un Conseil supérieur de l’éducation (CSE). L’occasion m’est donnée d’apporter une réponse au président de la république au sujet du rôle de ce CSE dont le but, dit-il, est d’«éloigner les jeunes, les étudiants et les chercheurs des calculs politiques».

Par Kais Krissane *

Personne en âge de réfléchir et ayant acquis un «bagage intellectuel» n’est absout d’un minimum de calcul politique, tout comme vous, monsieur le président, lorsque vous étiez étudiant ou enseignant. La culture politique est une ouverture d’esprit. C’est un engagement, et tout engagement, a sa part de calcul politique.

Bien entendu, il faudra que la maturité soit là pour éviter les dérives d’un calcul politicien, auquel cas, le calcul politique a sens noble du terme s’il en est.

Alors, l’objectif de cette instance va à l’encontre de l’éveil d’esprit. Cette vision du CSE, si elle s’appliquait, sera le contraire de la suite de votre déclaration en ce qui concerne «la politisation rampante» dans les lycées et les collèges. Déclaration reprochant (à qui ?) d’avoir commis «l’un des plus graves crimes contre le peuple qui est de vider les esprits de la faculté de penser et de critiquer», selon vos dires.

Non à la pensée unique

La politisation n’est pas une action mise en œuvre à l’intérieur des établissements, elle vient des foyers, parce que le peuple est interpellé par la politique et parce que, pour vous paraphraser, «le peuple veut».

Alors peut-on aller à l’encontre la volonté du peuple ? Tous à l’unisson nous disons non. La faculté de penser et de critiquer, oui cela doit toujours exister. Mais cela ne veut pas dire être d’accord avec la pensée unique.

Avoir l’esprit critique, c’est d’ailleurs n’accepter aucune affirmation, qu’elle soit positive ou négative, sans s’interroger sur ses motivations et sa justesse. Et, je pense que la meilleure illustration de l’esprit critique du Tunisien s’est manifestée lors de l’expression référendaire du 25 juillet. Ils sont pour, ils sont contre, ils s’abstiennent… Même si, pour certains, ils ne comprenaient rien à la nouvelle constitution… 

De surcroit, monsieur le président, le Conseil supérieur de l’éducation, un «autre machin» que vous souhaitez mettre en place, suite à la validation de cette constitution qui définirait les contours d’une troisième république, devra avoir la neutralité la plus absolue vis-à-vis du ministre de l’Education et de son collègue de l’Enseignement supérieur  et de la Recherche scientifique. Faute de quoi, ce sera un autre millefeuille, qui ne fera que freiner les synergies et alourdir la charge publique.

Un contre-pouvoir

Pour profiter de cette occasion qui m’est offerte de faire preuve d’esprit critique, permettez-moi de vous dire, monsieur le président, que le CSE est absolument l’instance qu’il faudra pour créer un contre-pouvoir au mammouth des ministères de tutelle.

Cette instance pourra, entre autres, contrôler la régularité des concours, la légalité de l’attribution des diplômes, dans les écoles publiques et privées, ou l’accompagnement en matière de contentieux dans ce secteur qui a beaucoup perdu de sa crédibilité.

Par ailleurs, cette instance pourrait être chargée de définir les programmes des différents niveaux, les heures de cours, les méthodes pédagogiques pour un apprentissage de haut niveau et adapté aux besoins du pays. Et l’apprentissage comprend l’analyse critique d’un article de loi, fondamentale ou pas, ou d’un article de presse.

Voilà comment on cultive l’esprit critique, non en combattant la politique dans les écoles, les lycées et les universités, au nom d’une supposée pureté de l’enseignement.

 Concernant l’égalité des chances, le citoyen jugera sur pièce de l’apport de cette instance.

* Expert immobilier indépendant, cadre bancaire à la retraite.

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