À l’heure où l’Algérie renforce, consolide et cimente ses relations avec son partenaire historique et stratégique la Russie, la Tunisie sape ses relations avec son partenaire historique les États-Unis. C’est une démarche suicidaire. Et voilà pourquoi… (Illustration : Bourguiba reçu en grande pompe aux Etats-Unis en mai 1961).
Par Chedly Mamoghli *
Que l’on critique certaines politiques des États-Unis comme celle en Afghanistan (liquidation de ce pays aux Talibans l’année dernière avec les accords de Doha), en Irak (guerre qui a déstabilisé le Moyen-Orient et a offert ce pays ô combien stratégique sur un plateau à la République islamique d’Iran) ou le soutien de l’administration Obama aux Frères Musulmans, sans parler de l’alignement systématique de Washington sur les positions d’Israël dans le conflit du Proche-Orient, est tout à fait normal et justifié; cependant faire feu de tout bois pour que la Tunisie sacrifie sa relation privilégiée avec ce partenaire historique comme poussent à le faire certains hurluberlus relève de la folie.
L’Amérique a toujours été un grand partenaire toujours présent dans notre pays et ce bien avant 1956. Les États-Unis ont soutenu notre indépendance bien que la France soit leur allié le plus ancien (pendant la guerre d’indépendance des États-Unis, la France a soutenu les Américains contre les Anglais).
Ne pas se laisser entraîner par la rhétorique populiste
Après notre indépendance, le soutien des États-Unis à notre pays n’a jamais fait défaut dans différents domaines, l’éducation, la santé, le développement, le domaine militaire, le renseignement, la sécurité, dans les instances internationales (soutien politique ou financier).
Le dialogue méditerranéen de l’Otan dont fait partie la Tunisie depuis 1994 et le statut d’allié majeur non membre de l’Otan accordé à la Tunisie depuis 2015 ont beaucoup aidé notre pays dans les défis auxquels il fait face.
Oui les États-Unis sont des amis et non des ennemis pour la Tunisie. La politique étrangère est intelligence et subtilité et il faut savoir faire la part des choses et faire la différence entre des politiques scabreuses dans d’autres pays et les liens amicaux et privilégiés avec notre pays qu’il faut préserver.
L’antiaméricanisme primaire a toujours été un sport national dans les pays arabes et boosté plus que jamais avec la guerre d’Ukraine; cependant les décideurs ne doivent pas se laisser entraîner par la rhétorique populiste des excités. Ils doivent préserver les relations avec Washington.
Non les États-Unis ne veulent pas le retour des Frères Musulmans en Tunisie. La page des Frères Musulmans est définitivement tournée mais les États-Unis qui ont renforcé leurs relations avec la Tunisie depuis 2011 ne veulent pas un retour à l’autocratie.
Le soutien militaire et financier américain, vital pour notre pays, ne peut pas se faire sous n’importe quel régime et avec n’importe quelles conditions. Washington n’accordera pas un chèque en blanc à Tunis. L’installation d’un régime autocratique comme celui mis en place par la nouvelle Constitution va battre en brèche cette relation spéciale.
Ne pas toucher aux tendances lourdes de notre politique étrangère
Que nous diversifions nos relations et nos partenariats est une bonne chose à laquelle j’ai d’ailleurs toujours appelé; cependant saper notre relation privilégiée avec l’Occident en général et les États-Unis en particulier est un jeu dangereux. Jouer avec les tendances lourdes de notre politique étrangère est suicidaire. L’arrimage pro-occidental de la Tunisie l’a toujours préservée jusque-là des menaces étrangères.
Ce texte est à contre-courant et je le sais. Il est tellement plus facile de cracher sur l’Occident et les États-Unis pour jouer les héros en carton ce qui plaît aux foules excitées; cependant l’intérêt supérieur du pays est plus important que la posture de vouloir plaire.
Le pays est déjà plus faible que jamais et enfoncé dans une crise sans précédent, finir par saper notre relation privilégiée avec notre partenaire le plus important c’est en faire le maillon faible de la région et l’exposer à tous les dangers. Préservons nos relations avec nos partenaires et ne jouons pas avec les tendances lourdes de notre politique étrangère.
* Juriste.
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