Depuis l’arrivée au pouvoir de Kaïs Saïed, le Maroc scrute ses faits et gestes, et ses relations par trop amicales avec… le président algérien, son voisin direct, et adversaire du Maroc. En provoquant la récente crise diplomatique avec Tunis, Rabat veut prendre les devants : attention, il ne faut pas faire un pas de plus, comme reconnaitre la RASD ! C’est vraiment une tempête dans un verre d’eau. Le signe d’un manque de discernement diplomatique de part et d’autre… Explications… (Illustration : Mur de séparation construit par le Maroc / Carte du Sahara Occidental).
Par Samir Gharbi
De Tindouf à Alger, il y a 1 800 km… De Tindouf à Tifariti, il y 350 km… Et de Tindouf à Laayoune, il y a 500 km… L’équation sahraouie se trouve dans ces trois lieux si proches et si lointains…
Tindouf est une ville algérienne, la base «politique» des indépendantistes sahraouis. Là, ils sont en sécurité et logistiquement dans une position facile pour voyager vers Alger et le reste du monde.
Tifariti est une localité qui se trouve sur la bande du Sahara occidental «libre», non «occupée» par le Maroc…
Depuis la construction d’un «mur» de défense pour protéger les 80% du territoire utile du Sahara Occidental, la nouvelle province saharienne «marocaine» vit en paix et connaît une prospérité soutenue par tout le Royaume. Le Maroc exploite les ressources halieutiques, agricoles et minières (phosphates), et les exporte sans problème «comme des produits made in Maroc».
La machine diplomatique royale carbure à plein régime
L’Union européenne (UE) qui voulait taxer ces produits, a cédé au chantage du Maroc qui s’exerce sur tout partenaire récalcitrant au sujet de la reconnaissance de l’ex-territoire colonisé puis abandonné par l’Espagne en 1976…
Le roi d’Espagne a dû céder à ce chantage exercé par le Maroc (entre autres des menaces de laisser les migrants clandestins franchir à leur aise le détroit de Gibraltar) en mettant fin aux soins prodigués au président de la République sahraouie (RASD) à Madrid en mai 2021. Ce dernier incident, clos à la faveur du Maroc, montre combien la machine diplomatique royale carbure à plein régime dès qu’on touche à la sacralité des provinces du Sud…
Cette victoire a été suivie par la reconnaissance officielle – elle était de facto – de l’appartenance du Sahara Occidental au territoire marocain par les Etats-Unis en décembre 2021. Et par l’établissement simultané des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. On se demande quel lien rassemble ces deux décisions annoncés par l’ex-président Donald Trump ?
Mais on peut facilement deviner que le lobbying américain combiné avec celui de la communauté juive mondiale a pesé – et va peser – lourd dans l’évolution du bras-de-fer qui oppose d’une part, le Maroc, et d’autre part, les indépendantistes sahraouis et leurs protecteurs algériens, sur le statut définitif du Sahara Occidental
Le médiateur onusien, qui veille sur le cessez-le-feu local depuis 1991, prolonge d’année en année sa mission qui coûte une bagatelle de 40 millions de dollars par an au budget onusien. L’Onu, officiellement, ne reconnait pas la RASD, mais reconnaît le Front de libération du Sahara Occidental, le Polisario, créé en 1973, trois ans avant la proclamation de la RASD.
La belle époque de la RASD est révolue
Plusieurs pays s’en tiennent à une neutralité dite «positive» pour échapper aux foudres du Maroc. Ils s’en tiennent à la légalité «onusienne» (médiation entre les parties prenantes afin de trouver une issue pacifique au conflit), et évitent tout contact officiel avec la RASD et son bras armé, le Polisario. Dès qu’un pays se rapproche trop de l’Algérie, le Maroc n’aime pas trop et veille au grain à tout signe d’un rapprochement avec les Sahraouis ennemis.
La belle époque de la RASD est révolue depuis la fin des années 1990, après son intégration comme Etat membre de l’Union africaine (1982). Au total, selon notre décompte, 81 pays ont reconnu à un moment ou à un autre la RASD… Aujourd’hui, ils ne sont plus que 25. Sous la pression du Maroc, 56 pays ont annulé leur reconnaissance… Parmi les 25, je compte la Libye qui a reconnu en 1980, mais qui depuis la chute de Kadhafi est incapable de confirmer sa position…
La Tunisie vient d’être rappelée à l’ordre – sèchement – par le Maroc pour avoir invité la RASD et accueilli avec les honneurs son «président», Brahim Ghali, ennemi juré du royaume. Le Maroc a profité de ce «prétexte» (comme la goutte qui fait déborder le verre) pour entamer une procédure de rupture diplomatique avec Tunis (qui commence par le rappel réciproque des ambassadeurs).
Une tempête dans un verre d’eau
Depuis l’arrivée au pouvoir de Kaïs Saïed, le Maroc scrute ses faits et gestes, et ses relations par trop amicales avec… le président algérien, son voisin direct. En octobre 2021, des consignes ont été données à l’ambassadeur de Tunisie près de l’Onu, Tarek Ladeb, de s’abstenir – seulement de s’abstenir – de voter la résolution du Conseil de sécurité prolongeant le mandat de la mission onusienne au Sahara. Un autre pays a fait de même : la Russie. Ce changement de position de la Tunisie ne pouvait passer inaperçu à Rabat…
Le Maroc s’en prend à qui ? Au maillon le plus faible, la Tunisie, pour avoir pris une décision souveraine, laquelle n’a fait aucun mal au Maroc. Mais, pour le Roi Mohammed VI, c’est un geste «inamical» contre la «cause nationale», qui figure – explicitement – dans le communiqué de Rabat publié le 27 août, à propos de la réception de Brahim Ghali. Le Maroc demande à la Tunisie de «lever les ambigüités qui entourent la position tunisienne»…
La Tunisie s’était abstenue dans le vote, elle n’a pas voté contre… Mais, le Maroc veut prendre les devants : attention, il ne faut pas faire un pas de plus, comme reconnaitre la RASD ! C’est vraiment une tempête dans un verre d’eau. Le signe d’un manque de discernement diplomatique de part et d’autre… La Tunisie devrait dire, comme du temps de Bourguiba*, «j’existe donc je suis»…
Une victoire manque toujours au tableau de bord marocain : faire sortir la RASD de l’Union africaine… Plusieurs tentatives ont échoué face à la résistance du rempart algérien !
* Le président tunisien a été le premier à reconnaître l’indépendance de la Mauritanie en 1960, provoquant la colère du Maroc… Rabat a fini par faire de même en… 1969.
Evolution des reconnaissances de la RASD depuis 1976
Les 25 pays qui continuent à reconnaitre la RASD :
Les 56 pays qui ont annulé leur reconnaissance…
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