A chaque fois que l’on pense avoir atteint, en Tunisie, le summum du ridicule, il se trouvera toujours un haut responsable pour réaliser de nouvelles prouesses en la matière. Et quand la stupidité atteint de telles cimes, peut-on sérieusement reprocher à nos compatriotes de tenter d’émigrer illégalement à bord d’embarcations de fortune, dans l’espoir de fuir l’enfer qu’on leur prépare au pays ?
Par Ridha Kefi
Le président de la république Kaïs Saïed a enfin évoqué, vendredi 14 octobre 2022, avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, la question de l’approvisionnement en carburants, alors que les files d’attente des automobilistes devant les stations-services se poursuivaient depuis une semaine sur tout le territoire du pays.
Fidèle sa politique du déni, la présidence de la république a noté, dans le communiqué publié à l’issue de la réunion, que les quantités nécessaires d’essence sont fournies dans toutes les stations-services et, mieux encore, qu’elles couvrent les besoins des citoyens, et le communiqué omet de préciser pour combien de temps encore.
Qui a parlé de pénuries ?
Encore heureux que le chef de l’Etat ne nous a pas raconté, cette fois encore, sa fable habituelle sur les spéculateurs qui provoquent des pénuries dans le but de faire tomber son régime.
Après toute une semaine de pénurie d’essence, on a dû sans doute expliquer au chef de l’Etat que les carburants sont achetés, raffinés et distribués par des sociétés étatiques. Mais lui a-t-on expliqué aussi que le stock stratégique de ce produit de première nécessité, pour les citoyens comme pour les entreprises, est quasiment épuisé, que les quantités récemment achetées et déchargées au port de Bizerte couvriraient au mieux les besoins d’une dizaine de jours, que la situation de pénurie risque fort bien de se répéter dans les prochaines semaines et qu’au lieu de se cacher derrière son petit doigt, en se félicitant de la disponibilité temporaire de l’essence dans les kiosques, un haut responsable de l’Etat doit envisager plutôt les pires scénarios, informer les citoyens des moyens envisagés pour atténuer dans l’immédiat leurs difficultés et des plans à moyen et long termes pour faire face durablement à un problème que la crise mondiale risque de faire durer et d’aggraver. D’autant que les cours du pétrole restent relativement élevés sur le marché mondial et que les experts ne s’attendent pas à une accalmie, surtout que la guerre russo-ukrainienne se poursuit, que l’hiver approche et que certains peuples du globe commencent déjà à grelotter.
Le silence radio en guise de communication
Non, bien entendu, nos chers hauts responsables disparaissent totalement de la circulation quand nous nous trouvons au cœur de la crise et ne réapparaissent que pour annoncer les bonnes nouvelles, fussent-elles très temporaires.
C’est ainsi, en tout cas, que M. Saïed conçoit sa communication personnelle et cette loi du silence, il semble l’avoir aussi inculquée à ses collaborateurs, à commencer par la cheffe du gouvernement Najla Bouden pour qui la chronique des pénuries n’existe même pas.
S’agissant des autres membres du gouvernement, on a eu droit de leur part à un festival de déclarations qui resteront dans les annales de la république comme les plus stupides et les plus énervantes pour l’opinion publique.
S’il y a une pénurie de sucre, ce n’est pas parce que l’Office du commerce de Tunisie n’a pas trouvé les fonds nécessaires pour en importer à temps et parce que les usines de sucre du pays n’ont pas trouvé les fonds nécessaires elles non plus pour réparer leurs machines tombées en panne, mais parce qu’il y a eu le Mouled, célébration de la naissance du Prophète Mohamed, et la préparation de l’assida, la crème de graines de pins d’Alep, et que cela s’est traduit par une surconsommation de sucre.
Plus stupide que moi, tu meurs !
Ah, la gourmandise, qu’est-ce qu’elle ne cause pas de problème à nos chers gouvernants qui ont toujours tendance à se laisser surprendre. C’est à croire qu’ils ne savent ni compter ni anticiper ni planifier, les pauvres chéris !
En ce qui concerne la pénurie d’essence, un autre responsable de l’Etat a fait plus fort en désignant le coupable : le beau temps du weekend dernier, en l’occurrence, qui a vu un grand nombre d’automobilistes utiliser leurs voitures et de longues files d’attente se former devant les stations-services. Le beau temps, on le sait, est très rare en Tunisie et les professionnels du tourisme qui vendent le soleil à longueur d’année trompent sans doute leurs clients !
Non vraiment, à chaque fois que l’on pense avoir atteint, en Tunisie, le summum du ridicule, il se trouvera toujours un haut responsable pour réaliser de nouvelles prouesses en la matière. Et quand la stupidité atteint de telles cimes, peut-on sérieusement reprocher à nos compatriotes de tenter d’émigrer illégalement à bord d’embarcations de fortune, dans l’espoir de fuir l’enfer qu’on leur prépare au pays ?
Il faut être Kaïs Saïed pour oser faire ce reproche lors de sa réunion hier avec la cheffe du gouvernement, qui a porté, à la fois, sur l’émigration et les pénuries. Et la coïncidence ici n’est pas fortuite, puisque l’une (l’émigration) s’explique par l’autre (les pénuries). Et que c’est le président lui-même qui fait si judicieusement le rapprochement. Mais de là à lui demander d’en tirer les conséquences, il ne faut pas trop demander !
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