Pour Kaïs Saïed, le monde actuel est foncièrement mauvais et injuste. Il doit être complètement revu et corrigé, en faisant table-rase du passé. «On doit trouver de nouvelles solutions basées sur une approche humaniste innovante», dit-il, un brin lyrique, mais au-delà des mots, aussi séduisants soient-ils, quelles solutions concrètes mettre en œuvre? Et qui va en assumer les coûts, et casquer pour tout le monde ?
Par Imed Bahri
Ces questions ne préoccupent pas outre mesure le chef d’Etat tunisien, qui semble emporté par ses élans messianiques, dignes des penseurs utopistes du XIXe siècle. Et en rupture totale avec les réalités – ô combien têtues – du monde actuel.
«Il est temps d’apurer les dettes accumulées depuis des décennies et de travailler à la récupération des fonds volés, car c’est un droit volé à de nombreux peuples africains, dont le peuple tunisien», a plaidé le président tunisien, qui s’exprimait lors d’une table-ronde intitulée «Une Afrique prospère basée sur une croissance inclusive et un développement durable», dans le cadre du deuxième Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique, tenu cette semaine à Washington.
La voie de la table rase
Selon un communiqué de la présidence tunisienne, Saïed a souligné que les Tunisiens aspirent à la justice et à la liberté dans leur patrie et partagent le souci de les voir s’établir dans le monde entier, ajoutant qu’il ne peut y avoir de solution efficace à nos problèmes sans un «diagnostic juste et fiable» de la maladie, selon les termes du chef de l’Etat, qui a souligné que le flot de pactes et d’accords conclus et de lois élaborées s’est avéré inutile et n’a pas répondu aux aspirations des gens. Bref, il faudrait faire table rase, tout revoir et tout refaire. Ce n’est qu’alors que le nouveau monde rêvé par le président tunisien pourrait… commencer.
Saïed a poursuivi en disant que des millions de vies humaines ont été perdues, des millions d’êtres sont morts de faim et des millions d’autres vivent comme s’ils n’appartenaient pas à la race humaine.
Notre peuple, comme d’autres peuples africains, a enduré tant de souffrances et de revers, a-t-il regretté, rappelant que les mutations profondes que connaît aujourd’hui le monde au rythme d’une mondialisation effrénée, exigent que nous réécrivions l’histoire et prenions une nouvelle voie : une voie cela ne peut pas être tracé unilatéralement mais tous doivent contribuer, a ajouté le président tunisien, qui préconise une rupture radicale dans l’histoire de l’humanité. Le peuple tunisien, comme les autres peuples du monde, «ne veut pas retourner au passé, il veut que ce soit fini», a-t-il déclaré. Et d’insister : «Nous sommes plus que jamais appelés à agir activement sur le principe d’égalité», réaffirmant que celle-ci n’a de sens que si elle est fondée sur la justice, la liberté et la sécurité.
Déshabiller les autres pour se vêtir
«Sommes-nous dans un seul globe ou dans un monde divisé en deux ? Un monde dédié aux riches et un autre plein de richesses mais où la misère sévit et où des milliers de personnes croupissent sous le joug de la faim et des guerres ?», s’est interrogé Saïed, avant de répondre, que, pour changer tout cela, «il est de notre devoir de trouver de nouvelles solutions basées sur une approche humaniste innovante, afin que la sécurité prévale pour tous et que nous ne revenions pas aux siècles passés et aux solutions dépassées».
Le président a prôné une approche basée sur des «solutions efficaces» aux maux des peuples africains tout en s’opposant aux «pseudo-remèdes» proposés par les bailleurs de fonds internationaux, qui, selon lui, ne font qu’ajouter l’insulte à l’injure et exacerber les tensions, critiquant les classements basés sur des chiffres souvent approximatifs, dans une sorte de coup de pied dans le derrière des agences de notation qui n’ont cessé de dégrader la note souveraine de la Tunisie, l’empêchant ainsi de s’endetter davantage pour financer le train de vie d’un Etat improductif et dépensier.
A en croire le président de la république, qui n’a visiblement pas apprécié la déprogrammation par le Fonds monétaire international (FMI) de l’examen du dossier de prêt à la Tunisie d’un montant de 1,9 milliard de dollars, initialement prévu pour le 19 décembre, tous les maux de l’humanité viennent des bailleurs de fonds, et qu’il suffit d’effacer les ardoises de tous les pays pauvres et de leur restituer les fonds qui leur ont été supposément spoliés, pour que le monde devienne plus juste et plus égalitaire.
Entendons-nous, cela est théoriquement juste : si on dévalise les banques des pays riches et que l’on distribue l’argent ainsi collecté aux pays pauvres, tout en soulageant ceux-ci du fardeau de leurs dettes extérieures, les pauvres deviendront arithmétiquement moins pauvres et les riches moins riches, mais comment parvenir concrètement à «soulager» les premiers de leurs richesses et les seconds de leurs maux ? Et est-ce que, ce faisant, l’humanité, en tant que telle, serait plus riche ou plus pauvre ?
Ces questions, M. Saïed, qui déteste les chiffres et le dit souvent avec une certaine fierté, ne se les pose même pas. Il se satisfait de l’écho apaisant de ses propos populistes sur les gens qui, comme lui, ne veulent pas compter. Et pour cause : ils n’ont rien à perdre et tout à gagner à déshabiller les autres pour s’habiller eux-mêmes.
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