Tunisie : un «conseil d’inquisition» à la Faculté des lettres de Manouba

Les membres du Conseil scientifique de la Faculté des lettres de Manouba, censé veiller à relever le niveau académique des enseignants et des étudiants et répandre les lumières dans le pays, s’érige en un tribunal d’inquisition pour condamner apostats et sorcières au bûcher.

Par Mounir Chebil *

Ledit Conseil «scientifique» a, rappelons-le, annoncé, le 12 avril 2023, le retrait du titre de «professeur émérite» à l’ancien doyen de la faculté, l’historien Habib Kazdaghli, après l’annonce de sa participation à Paris à une conférence sur le thème «Perspectives générales : le statut juridique et religieux des juifs de Tunisie à travers la presse, les revues et les écrits», à laquelle sont conviés aussi des historiens israéliens.

Habib Kazdaghli est reconnu coupable de connivence avec le sionisme par ce tribunal moyenâgeux. Pourquoi ? Parce qu’il allait participer à une conférence scientifique où des chercheurs israéliens seront aussi présents. Quelle perspicacité ! Quelle clairvoyance ! Ces «scientifiques» ont ainsi procédé à une action préventive, empêchant le «traître» ainsi débusqué de vendre aux Israéliens des secrets d’Etat qui hypothéqueront à jamais la création d’un Etat palestinien reconnu par toute la communauté internationale. A l’annonce du verdict, les Israéliens n’ont pas dormi la nuit de crainte du missile tiré de Manouba.

Aux membres de ce «très scientifique» conseil, je dis ceci : Cesserez-vous de vous soigner parce que les médicaments prescrits sont d’origine israélienne? Refusez-vous d’être opérés parce que des équipements du bloc opératoire sont fabriqués à Tel Aviv? Quand vous apprenez que certaines semences proviennent d’Israël, renoncerez-vous à les utiliser?

Messieurs les membres dudit «conseil scientifique», saviez-vous que Yasser Arafat et Mahmoud Abbas, ainsi que d’autres hauts responsables palestiniens ont serré la main aux dirigeants israéliens dans le cadre des négociations de paix palestino-israéliennes, dont une partie eurent lieu, dans les années 1980-1990, à Tunis même? Quel sort leur sera réservé s’ils passaient aujourd’hui devant votre honorable «conseil scientifique».

Et que dire de ces milliers d’ouvriers palestiniens qui travaillent quotidiennement en Israël? Faut-il les condamner au chômage jusqu’à la libération de tout le territoire palestinien? Il faut dire que le ridicule ne tue point dans ce pays.

Beaucoup de pays arabes, notamment ceux du Golfe, ont noué des relations diplomatiques avec Israël et entretiennent avec l’Etat hébreu des relations économiques plus ou moins développées. Doit-on rompre nos relations diplomatiques et économiques avec ces pays, dont nous sollicitons aujourd’hui une aide financière pour sortir notre pays de la crise où il s’enfonce chaque jour un peu plus?      

Si la décision du Conseil «scientifique» de la Faculté des Lettres de Manouba venait d’un excès d’hypocrisie et de démagogie, c’en est trop. A moins que ce ne soit le résultat d’une ignorance crasse des affaires du monde. Et là, ce serait encore plus grave.

* Haut fonctionnaire à la retraite.

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