Kaïs Saïed aux Européens : «La Tunisie n’est pas un gendarme protégeant les frontières des autres»

«Nous refusons que notre pays soit réduit au rôle de simple gendarme qui veille scrupuleusement à protéger les frontières des autres», a déclaré le président Kaïs Saïed, samedi 10 juin 2023, au cours d’une visite à Sfax, dans un message de fermeté envoyé aux Européens.

Par Imed Bahri  

Cette visite est intervenue la veille de la rencontre au Palais de Carthage avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui sera accompagnée par la Première ministre italienne Giorgia Meloni, de retour à Tunis moins d’une semaine après sa première visite dans notre pays, et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte.

Le chef de l’Etat a choisi d’aller à la rencontre des migrants subsahariens et des habitants de cette ville du sud de la Tunisie d’où partent la plupart des barques de migrants vers les côtes italiennes pour envoyer des messages de fermeté à ses hôtes d’aujourd’hui venus lui proposer des aides financières en contrepartie de mesures plus fermes pour réduire les flux de migration illégale à partir des côtes tunisiennes: «La solution à la montée en puissance des flux migratoires ne doit plus être aux dépens de la Tunisie», leur a-t-il lancé, donnant ainsi un avant-goût de la discussion qu’il va avoir avec eux aujourd’hui, à moins qu’il ait cherché ainsi à faire monter la pression sur les partenaires européens en prévision des négociations en perspective.

Lors de cette visite à Sfax, le chef de l’Etat a eu l’occasion d’écouter les préoccupations et soucis des citoyens de la région et de s’enquérir de visu de la situation des migrants subsahariens irréguliers.

Au siège du gouvernorat, en présence de certains responsables de la région, le président Saïed a précisé qu’en sa qualité de garant de la continuité de l’Etat, il assume une pleine et entière responsabilité dans la préservation de sa souveraineté.

«Les oubliés de l’ordre mondial de la misère», déplore Saïed

«Nous ne tolérerons plus que quiconque sur le sol tunisien soit en proie à un traitement dégradant, humiliant et inhumain, a fait savoir le chef de l’Etat, réaffirmant la volonté d’œuvrer à ce que tout ressortissant étranger établi en Tunisie soit dans une situation régulière», a déclaré Saïed.

«Ces migrants venant du continent africain sont les nouveaux métèques, les victimes, les damnés et les oubliés de l’ordre mondial de la misère», a regretté le chef de l’Etat, fustigeant une approche égocentriste qui les réduit à «une poussière d’individus», à des chiffres au mieux erronés, au pire sans âme ni esprit.

«Nous plaidons à cor et à cri en faveur d’une solution éminemment humaniste dans un cadre collectif selon des normes préservant la dignité humaine où tous doivent y contribuer dans le respect des lois de l’Etat», a encore martelé le président Saïed, ajoutant qu’il est temps de mettre fin à leur tragédie, à leur calvaire et à leur triste sort.

Tout en rappelant des témoignages émouvants recueillis auprès des migrants irréguliers ayant survécu à des conditions inhumaines, le président Saïed a dénoncé les pseudo-défenseurs des droits de l’homme, qui ne cessent de nous importuner par leurs leçons de morale. «Doivent-ils avoir honte de voir se profiler devant leurs yeux un tableau sombre et morose d’une humanité foulée aux pieds», s’est-il interrogé, dénonçant «les tentaculaires réseaux de traite des personnes et d’organes».

«Ces pauvres ressortissants africains ont dû fuir leurs pays, souvent fragilisés par les guerres. Ils sont venus chez nous en quête de refuge», a dit le chef de l’Etat, dénonçant une duplicité du discours officiel des pays de la rive nord de la Méditerranée face à la question migratoire.

«Lorsqu’il est question de protéger leurs pays, ils s’empressent à revendiquer l’application de la loi. Lorsqu’il est question des nos pays, pays de la rive sud, le discours change de ton et les requêtes ne sont plus les mêmes», a dit le chef de l’Etat, réaffirmant que «la solution à la montée en puissance des flux migratoires ne doit plus être aux dépens de la Tunisie».

«Que l’on soit clair. Nous sommes là pour les protéger, pour préserver leur dignité», a-t-il martelé, réaffirmant l’engagement à ce que ces migrants obéissent à la loi et soient en situation régulière.

«Notre pays fait face à de nombreux défis et enjeux, dont notamment, les flux migratoires et la conjoncture socioéconomique difficile», a rappelé le président Saïed, réaffirmant le souci de parvenir à y faire face.

«Certains croient encore pouvoir faire remonter le temps et réussir à démonter l’appareil de l’Etat. A ceux-ci, je réponds que l’Etat est fort de ses institutions et qu’il n’est plus question d’un retour en arrière», a également affirmé le chef de l’Etat, dans une limpide allusion à ses opposants. Pour ce faire, il a appelé les Tunisiens à ne plus faire recours à l’étranger et à miser sur leurs propres moyens et ressources. «Nous sommes paradoxalement un Etat en mal de ressources financières dans un pays riche. Mais, cette situation ne doit plus durer plus longtemps», a-t-il insisté, plaidant en faveur d’une justice sociale instaurée dans le cadre de la loi, expression de la volonté générale du peuple.

Saïed n’a cependant pas précisé comment les Tunisiens pourraient compter sur leurs propres «richesses», ni précisé lesquelles, sachant que la Tunisie fait face à sa plus grave crise financière depuis 1986 et qu’elle continue de solliciter de nouveaux crédits auprès des bailleurs de fonds internationaux pour payer ses dettes (plus de 90% de son PIB) et boucler son budget pour l’année en cours.

Avec Tap.

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