Kaïs Saïed considère que la Tunisie a d’importantes ressources, naturelles et humaines, et qu’elle peut compter sur elle-même pour sortir de la crise. Le problème c’est qu’il promet un remède sans en donner le nom ni le mode d’emploi. (Illustration: Kaïs Saïed hier à Sfax).
Par Imed Bahri
Lors de sa visite hier, samedi 10 juin 2023, à Sfax, où il est allé à la rencontre des migrants subsahariens et des citoyen de la ville qui se plaignent de l’intensification des arrivées de ces migrants en transit en attendant de pouvoir embarquer vers le côtes italiennes, Saïed a affirmé que «la Tunisie est forte de ses institutions et de son peuple», ajoutant : «Quand nous sommes au rendez-vous avec le peuple, on pourra faire l’histoire avec nos propres moyens», en soulignant «la nécessité de compter sur nous-mêmes avant de compter sur qui que ce soit à l’étranger».
«Nous avons de gros moyens et d’énormes ressources, naturelles et humaines. La Tunisie est un Etat qui regorge de richesses», a encore insisté le président. Il est d’ailleurs revenu, quelques heures plus tard, à ce même sujet, en recevant, au Palais de Carthage, la Première ministre Najla Bouden.
«Les capacités el les moyens de notre pays sont énormes et on doit mettre en œuvre toutes les conditions permettant à notre peuple de réaliser ses aspirations», a dit Saïed en soulignant «la nécessité pour toute personne qui assume une responsabilité dans l’Etat d’être au niveau des aspirations du peuple, parce que le devoir national exige qu’on relève les défis l’un après l’autre. Et que chacun œuvre avec un sentiment de responsabilité et ne recule pas un instant devant l’accomplissement des volontés du peuple».
Compter sur nous-mêmes, dit le président
Ce discours, qui insiste sur la nécessité pour les Tunisiens de compter sur leurs propres moyens, devient récurrent depuis quelque temps chez le président de la république. Que doit-on en conclure? Que les négociations avec les bailleurs de fonds étrangers, le Fonds monétaire international (FMI) en tête, sont devenues difficiles, à moins qu’elles ne soient déjà arrivées dans une impasse, et que le locataire du Palais de Carthage est en train de chercher des solutions alternatives pour sortir le pays de la crise, rétablir ses finances publiques et anticiper la grogne sociale qui s’annonce. Et qu’à cet effet, il cherche à préparer les citoyens aux difficultés et aux sacrifices auxquels ils vont devoir faire face au cours de la période à venir. Tout en leur faisant miroiter la promesse de jours meilleurs à l’avenir, en les invitant à faire un meilleur usage des moyens dont ils disposent et qui seraient, selon lui, immenses.
Le chef de l’Etat semble aussi reprocher à l’administration publique de manquer de sens des responsabilités, de n’être pas encore au diapason des aspirations du peuple et de ne pas s’investir assez dans leur réalisation. Mais là encore, les paroles du président nous laissent perplexes. Car nous avons du mal à saisir où il voudrait en venir : exhorter le peuple à davantage d’effort pour relever les défis de la crise, lui demander de compter d’abord sur ses propres moyens et rappeler au gouvernement ses «responsabilités» et son «devoir national».
Certes, tout cela est souhaitable et c’est là peut-être la vraie solution à tous les problèmes de la nation, mais suffit-il de le dire pour que cela finisse par se réaliser, comme dans les contes populaires. Le président ne doit-il pas essayer de mettre de la cohérence dans tout cela pour que tous ces vœux pieux soient réalisables ? Ne doit-il pas d’abord élaborer un programme de gouvernement accompagné d’un plan d’exécution détaillé, chiffré et étalé dans le temps, avec des étapes et des délais clairement fixés ? Ne doit-il pas aussi convaincre la population et la mobiliser autour de ce programme, pour espérer le faire aboutir dans des délais raisonnables et acceptables ?
En attendant le coup d’après
Les déclarations présidentielles, souvent aussi générales et vagues les unes que les autres, ne constituent aucunement un engagement de la part du pouvoir exécutif, tant qu’elles ne sont pas inscrites dans des projets concrets qui définissent clairement les responsabilités de chaque partie et l’apport qu’on attend d’elle.
Jusque-là, malheureusement, et en l’absence d’une communication gouvernementale informée et suivie, les Tunisiens en sont réduits à supputer, à espérer et à s’accrocher à de vagues espoirs souvent d’ailleurs sans lendemain.
Quand l’investissement, la croissance et l’emploi vont-ils reprendre ? Quand le chômage, l’inflation et le déficit budgétaire vont-ils commencer à décliner ? Quand les pénuries d’essence, d’eau, de pain, de sucre, de thé et de café vont-ils cesser, et qu’a-t-on fait pour cela ? Quand les Tunisiens vont-ils reprendre une vie plus ou moins normale et retrouver leurs performances économiques, pouvoir d’achat et niveau de vie d’avant la révolution de 2010? Est-ce que le gouvernement en sait vraiment plus que nous sur tous ces sujets ?
On est tenté de répondre par la négative tant Mme Bouden semble naviguer à vue et gérer les difficultés au jour le jour, en attendant, à chaque fois, le coup d’après, la «latkha», qui n’est jamais très loin.
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