Crise migratoire : 24 heures en mer avec les garde-côtes tunisiens

Dans un effort de communication visant à nuancer l’image négative que les médias internationaux se font de sa gestion des flux de migration clandestine à partir de ses côtes, la Tunisie a autorisé des journalistes de l’agence AFP à monter à bord d’un bateau de ses garde-côtes patrouillant au large de Sfax. Résultat : ce reportage publié aujourd’hui, vendredi 11 août 2023.

Reportage de l’AFP  à Sfax (Par Ezer Mnasri avec Françoise Kadri à Tunis).

Un canot pneumatique ramène des dizaines de personnes de l’un des six bateaux que les garde-côtes tunisiens ont interceptés en 24 heures au large de Sfax, rampe de lancement des migrants vers l’Europe.

«Notre priorité est de sauver des vies», a déclaré Mouhamed Borhen Chamtouri, commandant des garde-côtes tunisiens, alors que le canot se dirigeait vers le hors-bord qui avait repéré les migrants au radar.

Chamtouri, qui est basé à Sfax, s’exprimait après 24 heures passées à intercepter et secourir des migrants qui ont quitté la ville portuaire entre mercredi et jeudi.

Cette année, Sfax est devenue une plaque tournante clé pour les migrants espérant traverser la Méditerranée depuis la côte tunisienne, le point le plus proche étant à moins de 130 kilomètres (80 miles) de l’’île italienne de Lampedusa.

L’Organisation internationale pour les migrations indique que plus de 1 800 personnes sont mortes en essayant cette route jusqu’à présent cette année, soit plus du double de l’année dernière, ce qui en fait la route migratoire la plus meurtrière au monde.

La dernière tragédie au large des côtes tunisiennes a été un naufrage le week-end dernier qui a fait au moins 11 morts et 44 disparus.

«Cela ne fait aucun doute. Vous avez vu ces dernières 24 heures que nous avons effectué plusieurs sauvetages», a déclaré Chamtouri aux correspondants de l’AFP accompagnant son équipage. «Trois bateaux sont tombés en panne et les opérations n’ont pas été faciles pour nous.»

Les garde-côtes tunisiens affirment avoir intercepté 34 290 migrants au cours des six mois précédant le 20 juin, la plupart en provenance de pays d’Afrique subsaharienne, contre 9 217 sur la même période en 2022.

Human Rights Watch a allégué le 19 juillet que les forces de sécurité tunisiennes, y compris les garde-côtes, avaient «commis de graves abus contre des migrants noirs africains», notamment des expulsions collectives et des actions dangereuses en mer.

«Septième tentative»

Les patrouilles des garde-côtes de Sfax ont intercepté 216 migrants partis séparément sur six bateaux alors que l’équipe de l’AFP était à bord pour la mission de recherche et de sauvetage.

Il s’agissait de dizaines de migrants noirs africains, dont des femmes et des enfants, qui voyageaient sur des embarcations surchargées et fragiles montées au dernier moment à terre, et de 75 Tunisiens, tous des hommes, qui pouvaient s’offrir des voyages sur des embarcations plus robustes.

Lorsque le canot s’est approché de leur embarcation, les Africains ont pleuré et supplié les garde-côtes de les laisser partir.

Un jeune Ivoirien a déclaré à l’AFP qu’il en était à sa «septième tentative» pour traverser la Méditerranée.

Le nombre d’Africains qui tentent de faire la traversée a augmenté depuis que le président tunisien Kaïs Saïed a affirmé, dans un discours du 21 février, que des «hordes» de migrants irréguliers étaient à l’origine de la criminalité et constituaient une menace démographique pour le pays à majorité arabe.

Beaucoup ont également fui depuis que des centaines de migrants ont été arrêtés ou chassés dans le désert après le coup de couteau mortel d’un Tunisien lors d’une rixe entre Tunisiens et migrants à Sfax le 3 juillet.

L’Italie affirme que près de 94 000 migrants sont arrivés sur ses côtes depuis le début de l’année, soit plus du double du nombre pour la même période en 2022.

3000 migrants interceptés en 10 jours

Ce mois-ci, les garde-côtes de Sfax ont intercepté environ 3 000 migrants en seulement 10 jours, dont 90 % venaient d’autres régions d’Afrique, a déclaré Chamtouri.

En juillet, l’Union européenne a signé un accord avec la Tunisie qui prévoit 105 millions d’euros (115 millions de dollars) d’aide européenne directe pour empêcher le départ des bateaux de migrants et lutter contre les passeurs.

Il comprenait 15 millions d’euros destinés à financer le «retour volontaire» de 6 000 migrants africains dans leur pays d’origine.

L’accord a coïncidé avec l’«expulsion» par la Tunisie depuis début juillet de «plus de 2.000 migrants africains» vers des zones désertiques ou inhospitalières aux frontières avec l’Algérie et la Libye, selon un décompte remis à l’AFP par des sources humanitaires.

Amnesty International a accusé l’UE en réponse de «concentrer ses politiques et ses financements sur le confinement et sur l’externalisation du contrôle des frontières plutôt que d’assurer des itinéraires sûrs et légaux», se rendant ainsi «complice de la souffrance» des migrants.

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