Lors de son périple diplomatique au Moyen-Orient, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a été critiqué au Caire et humilié à Ryad. Il a prouvé que les Etats-Unis ne sont plus en contact avec la réalité du Moyen-Orient. (Illustration : On appréciera la distance mise entre Sissi et son hôte américain).
Par Lahouari Addi *
Au lendemain des attaques du Hamas sur le territoire israélien, Blinken a entrepris un périple diplomatique au cours duquel il a visité sept capitales dans la région du Moyen-Orient. Le but de ces déplacements était d’obtenir des dirigeants arabes une condamnation des activités de l’organisation Hamas, de sonder ces dirigeants sur le projet d’un déplacement de la population de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie, et de limiter les critiques à l’endroit d’Israël suite aux bombardements de la ville de Gaza, tuant des centaines de personnes parmi la population civile.
Aucune des demandes de Blinken n’a eu de réponses positives. Bien au contraire, les communiqués des interlocuteurs arabes soulignaient la nécessité de l’arrêt des bombardements israéliens et le retour au processus de paix.
Un mini incident diplomatique
Un jour avant l’arrivée de Blinken au Caire, la Ligue arabe a demandé à Israël d’arrêter ses attaques contre les populations civiles de Gaza. Lors de l’entrevue avec le président égyptien, il y a eu même un mini incident diplomatique. Selon le New York Times du dimanche 15 octobre, le président Abdelfattah Sissi a reproché de vive voix à Blinken d’avoir dit lors de sa visite en Israël qu’il était juif. Ce dernier a répondu qu’il s’était rendu à Jérusalem en tant qu’être humain horrifié par les atrocités commises par le Hamas. En effet, lors d’une conférence de presse tenue le mercredi 12 octobre en présence de Benyamin Netanyahu à Jérusalem, le chef de la diplomatie américaine a senti le besoin de déclarer qu’il était juif sans que cela ne soit nécessaire. Il n’a pas eu la perspicacité de Henry Kissinger qui raconte dans ses Mémoires : «Lorsque j’ai rencontré Golda Meir en 1973, je lui avais dit : ‘‘Madame la Première ministre, sachez que je suis d’abord un Américain, ensuite le secrétaire d’Etat des États-Unis et enfin un juif’’. Ce qu’il voulait dire est : je suis sentimentalement avec vous, mais je défends d’abord la stabilité de la région, ce qui est dans l’intérêt de mon pays, les États-Unis.»
L’entrevue au Caire n’a pas été concluante puisque Blinken est reparti les mains vides, sans avoir arraché la condamnation du Hamas et sans avoir empêché le gouvernement égyptien de dénoncer les frappes aériennes sur Gaza. L
e voyage en Arabie Saoudite s’était encore plus mal passé qu’en Égypte. Arrivé le vendredi soir à Ryad, le secrétaire d’Etat n’a été reçu par son homologue saoudien que le lendemain samedi, et a dû attendre le dimanche pour obtenir une entrevue avec le prince héritier Mohammed Ben Salman … fixée à 7h 30 du matin. Le journaliste du New York Times, accompagnant le secrétaire d’Etat, écrit que Blinken n’a jamais été traité de cette manière dans aucune capitale lors de ses déplacements diplomatiques.
Lors de ce périple diplomatique, Blinken a montré les limites de la politique étrangères des Etats-Unis au Moyen-Orient qui n’a rien à offrir que le statu quo. Mais ce n’est pas lui qui trace les lignes directrices de la politique étrangère. Il ne fait que suivre les consignes données par le président et ses conseillers.
La cécité de Joe Biden
Dans l’émission ‘‘60 minutes’’ sur la chaîne CBS diffusée le dimanche 15 octobre au soir, le président Joe Biden a réaffirmé son soutien à Israël qui, dit-il, a le droit de se défendre. À la question du journaliste relative aux bombardements de Gaza, qui ont tué des centaines de civils, Biden a répondu qu’«Israël est un pays démocratique qui respecte les lois de la guerre». Le journaliste lui a aussi demandé s’il avait un plan de paix pour la région. Il a répondu qu’il fera tout son possible pour que les États arabes reconnaissent Israël pour établir une paix définitive dans la région, évoquant les Accords d’Abraham qui passent sous silence la question palestinienne.
Comme son prédécesseur Trump, Biden estime que le conflit est entre Israël et les pays arabes et non entre Israël et les Palestiniens. Il feint d’ignorer que l’Arabie saoudite a rétabli ses relations diplomatiques avec l’Iran et a ouvert le mois dernier un consulat auprès de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Le président américain et son ministre des Affaires étrangères ne semblent pas être en contact avec la réalité du Moyen-Orient. S’agissant de la première puissance mondiale qui s’est investie de la mission de préserver la paix dans le monde, il y a de quoi s’inquiéter.
* Professeur à l’Institut d’études politiques de Lyon, chercheur au Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo).
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